Ce matin, j’ai pris le vélo.

Le ciel était toujours aussi gris, la petite pluie, froide.

Ce matin, j’ai pris le vélo, j’ai quitté le lotissement, aux pelouses parfaites, j’ai dépassé les maisons contemporaines.

Je cherchais la forêt, je sais qu’elle m’entoure, elle est là-haut, sur les collines.

Je cherchais la Moselle, les berges douces, la plage.

Oui, car ironiquement, ici, au carrefour, sillonné de voitures, sous le ciel gris, il y a la Pharmacie de la Plage.

Je songe à d’autres lieux, d’autres ronds-points, d’autres lotissements, à quelques kilomètres – quelques mètres, parfois – de la grande bleue, ou des rouleaux de l’océan, ou de la berge du lac, ou de la petite plage de rivière, à l’eau si douce.

Mais ici, maintenant, où me baignerai-je ?

Moi, ce que j’aime, c’est l’eau.

J’aime aussi la forêt.

Je la cherche.

Ce qu’on retrouve, qu’on redécouvre, en province (en région), c’est les voitures, ce flot de voitures, et les gros camions.

La vie à l’américaine, les grosses bagnoles, les 4×4, les voitures de luxe immatriculées au Luxembourg, la jolie plaque jaune avec un petit numéro.

Les maisons contemporaines, je l’ai dit, carrées, brutalistes, orthogonales, grises, blanches, noires, de grandes baies vitrées, une clôture haute, un driveway, pour la voiture de Monsieur, et celle de Madame, et celle des enfants aussi bien sûr.

Je cherche la forêt. Mais il faut grimper. En vélo. Je n’ai pas le courage.

Je suis dépassé par un énorme camion, je roule sur la nationale, je passe le Rendez-vous des Pêcheurs – ah, il y a bien une plage, ou en tous cas des pêcheurs, de l’eau – soudain la Moselle apparaît, un bout de Moselle, qui coule vers le nord.


Où est la forêt ?

Je prends à droite.

Je monte, je passe un village, j’arrive tout en haut de la colline.

C’est joli par là-haut.

Sainte-Ruffine.

L’an dernier, en Suisse, j’ai traversé la forêt.

À vélo.

C’est le lieu de la peur.

Même en vélo, j’avais peur.

J’ai peur de marcher seul dans la forêt.

De dormir, seul, à l’orée de la forêt.

Même grand, même adulte, c’est la peur.

La peur de l’engloutissement, de la nuit. Les hauts sapins. Project Blair Witch, tout ça. La forêt qui avale, qui étouffe. La forêt où personne ne t’entend crier.

Ce n’est pas l’heure de la forêt, ce n’est pas la nuit.

Je redescends doucement en vélo vers la vallée.

Je n’ai pas encore trouvé la forêt.

Bienfaitrice, aussi, bénéfique, protectrice, elle est tout ça la forêt.

Génératrice de beauté, support pour l’imaginaire, ça fait du bien d’être dominé par ces hauts troncs, protégé du soleil – et à l’instant c’est une autre forêt dont je me souviens, une autre balade que je me rappelle, dans la forêt d’Armainvilliers, près de Paris, je me souviens du bonheur.

Bonheur de marcher à plat sous les frondaisons – rien que le mot, déjà. Marcher dans une lumière tamisée, filtrée, diffractée, pailletée, mouvante, verte.

Ecouter les bruits, si minces, presque échoïques. Oui, la forêt est silencieuse, à peu près, mais ce silence rebondit, retentit, presque. Il est puissant, ce silence, il est sonore.

On parle à mi-voix, pour ne pas déranger.

Ou alors on continue nos longues conversations quand on marche à plusieurs, le dimanche, en forêt.

On ne s’en fait pas, on continue le chemin.

On est entré dans un autre espace.

La ville est loin.

La vie quotidienne, aussi.

On est dans le vert, dans la lumière, dans la paix. On marche dans la forêt éternelle – oh, on sait bien qu’elle n’est pas éternelle, ni primaire – la dernière forêt primaire d’Europe est en Pologne ; je crois – mais il nous plaît de le croire.

On retombe en enfance.

C’est une forêt de conte, elle a gardé tout son mystère et nous fait « chut » mais n’a pas besoin de le faire, nous respectons la forêt.

Elle nous enveloppe, c’est ça, sa magie, elle nous entoure, comme nous entoure le ciel, nous avale l’eau, nous avalerait l’océan, mais elle ne nous avale pas, nous finirons bien par sortir de la forêt, comme du ventre de la baleine.

Régénérés.

Elle nous a donné quelque chose.

Un peu de son humidité, de son oxygène, de sa force, de sa beauté, de son silence, de son Histoire aussi, voilà quelque chose qui n’a pas bougé, en tous cas elle a l’élégance de nous le faire croire…

 

J’ai cherché la forêt, Jour 5, mais je ne l’ai pas trouvée.

Pas vraiment cherchée.

Je range le vélo au garage, dans l’appentis. Elle est tout autour, pas encore pénétrée, foulée, explorée, traversée.

La belle forêt ancienne, ou moderne, les arbres encore verts de l’automne qui est là mais n’a pas encore arraché les feuilles, il n’a arraché que nos souvenirs d’été.