Epuisé par l’insomnie, je marche dans la nature. La forêt est tout autour. Au milieu d’un champ, un oiseau. Je le prends pour une bête, un rongeur, un cervidé, un lapin. Je monte vers le col de Lessy. Des voitures me dépassent. Il y a pas mal de papiers par terre, un masque qui traîne, des canettes. Au loin, la forêt, les frondaisons. Je m’assieds sur un banc là où un chemin monte vers la forêt. Le Christ en croix m’accompagne. Il est dressé, hagard, efflanqué, dans la nuit. C’est le jour. La nuit n’est pas passée. Il est debout, anguleux, piquant, désespéré, solitaire, comme dans les tableaux de Friedrich. Quelques fleurs en plastique posées à ses pieds. Des vaches viennent me voir. Elles sont dans le champ juste en face. Toutes blanches, des vaches ou des veaux, je ne sais pas. Des promeneurs apparaissent. Ils empruntent le chemin, celui qui monte vers les arbres. Un jeune homme détache son chien. C’est dimanche. La forêt, la nature, les chemins sont sillonnés de gens. Je ne sais jamais s’il faut dire bonjour – en ville, on ne dit jamais bonjour mais en nature, dans les chemins, on dit « bonjour » souvent, les groupes se saluent, mais là, je suis seul.


Je quitte le Christ en croix, je monte vers le col de Lessy. Une petite pluie commence à tomber. Des chemins m’invitent à monter dans la forêt. Je reste sur la route. Putain de pluie, de temps. Epuisé par la nuit, je monte, je souffle, j’ai chaud. Mon téléphone est éteint, c’est dimanche. « Bonjour », « Bonjour », ça m’amuse ces bonjours artificiels.

 

Se balader seul en forêt aussi est bizarre, les gens sont en couple ou en famille. Ou avec leur chien.

Au col, je retrouve le chemin du premier jour, sur les belles pelouses calcaires, tout est moins beau, moins magique, c’est la seconde fois. Je piétine sur la voie romaine, trépigne sur les petits cailloux, bien fichés en terre depuis mille huit cents ans, en tous cas on peut l’imaginer.

Là-haut, la même vue, les coteaux de Moselle, les autres villages, les lotissements. Et j’ai l’impression de voir plus loin. Il me semble que la première fois, ce n’était pas aussi dégagé.

Je redescends par le coteau, sous les arbres.

En m’approchant du village, je retrouve cette forme de société structurée, familles messines qui se baladent, enfants en bas âge, amoureux randonneurs, seniors courageux.

J’arrive à l’église, et son cimetière où il se passe tant de choses dans les histoires des enfants, dans leurs écrits d’atelier.

 

Je n’ai plus d’imaginaire.

Je n’arrive pas à penser l’église comme un personnage, comme une dame avec son long cou, son horloge bleue comme un collier, un pendentif, et ses yeux qui voient tout, ses oreilles curieuses, ses murs bavards.

Je ne me dis pas qu’elle a entendu les gens pleurer, lors des enterrements, ni souri aux baisers échangés devant l’autel, maladroitement, le jour du mariage de gens du coin, le grand jour d’Isabelle et Quentin, réunis devant leurs parents et amis, pour s’embrasser sous la nef.

Je ne pense pas qu’elle a tout vu quand ce crime atroce a été commis, comme dans le texte d’un enfant de l’école, ni que le meurtrier, c’est moi – toujours dans ce texte, dans cette histoire de quelques mots, si inspirée. « Les enfants sont les plus grands poètes du monde », dit Fabienne.

 

Et c’est vrai.

Je redescends tranquillement vers chez moi, au bas du village. Je passe par les chemins entre les maisons, les jardins, les propriétés.

Epuisé par l’insomnie, je me laisse glisser. Je descendrai, descendrai, et descendrai toujours…

Plus tard, je fais du vélo le long de la Moselle. Là aussi, il y a des arbres. Secrets. Ou était-ce un autre jour ?

Ce n’est pas ce jour-là.

Ce soir, je prends le bus et vais voir un film au cinéma. La nuit adoucit tout.

Metz s’illumine doucement, avec leur super éclairage, qui transfigure la ville.

Je retourne en ville, je quitte les forêts et renoue avec ma vie urbaine, le cinéma le dimanche soir. Je suis seul dans le cinéma, pour l’instant. Des réalisateurs parisiens viendront ici, bientôt, présenter leur film d’auteur, les affiches l’annoncent. Je bois un thé en attendant la séance.

La nuit adoucit tout, Metz se vide doucement, seuls traînent quelques zonards. Une femme en robe rouge marche dans une rue ancienne, c’est une très belle image.

 

Bientôt la journée sera finie, la semaine aussi.

Enfin.

Autour de la maison, quand je rentre, les arbres sont noirs. La nuit est silencieuse, d’un silence profond, on dirait de conte, sauf quand l’autoroute mugit au loin, que le vent apporte son murmure.

Pas de bruits d’oiseaux.

Une forêt bienheureuse, doucereuse, protectrice.

 

J’ouvre la fenêtre pour sentir l’air de la nuit, pour le laisser refroidir la chambre.

Pas un bruit, jamais.

Un matin, un conflit d’oiseaux, des cris inconnus, ni mouette, ni corneille, ni pigeon parisien. C’était vers cinq heures, puis le silence encore.

La nuit est enfin là, profonde, pour toujours, pour longtemps.

Je dors tout de suite.