Nous courons. Nous courons avec Yannick. Nous montons par les coteaux. Nous joggons entre les maisons, entre les propriétés. C’est difficile. Je souffle. La chienne de Yannick est en avant. Dalhia, comme Dalhia noire. Toute belle. Vive. Jeune encore. Détachée. En avant, en arrière, quand je traîne elle m’attend. Je souffle, je souffle. On s’élève peu à peu. On quitte la nationale. On monte dans la beauté. Dans les couleurs de l’automne. 

 

C’est les dernières maisons.

La vigne, les champs apparaissent.

 

Le mont Saint-Quentin.

Hop, hop, hop, à petites foulées.

On entre dans le bois, sous les arbres, on monte encore. Yannick arrive à parler en courant. Pas moi. Il est devant. On marche parfois. Yannick parle encore.

Nous arriverons bientôt tout en haut, très loin, plus loin, près des forts.

Les forts apparaissent, avec leurs ravins, leurs interdictions de pénétrer. Sous peine d’amende, de risque de mort. Les anciens ne venaient jamais par là. Les anciens ne montaient jamais au Saint-Quentin. C’était militaire, dit Yannick. Toute la montagne était militaire, creusée, trouée, lacérée, cimentée, aménagée depuis des générations. Il fallait se protéger, d’un côté comme de l’autre. Et ces vulnérables forts apparaissent, ces impressionnants remparts. « Les enfants doivent être tenus par la main », indique le panneau.

Il y a des trous, dit Yannick.

Des mines ?

Non, pas vraiment, surtout des trous, et le risque de chutes de pierre.

Et celui d’une mauvaise rencontre.

– Au Saint-Quentin, le risque d’une mauvaise rencontre est le plus grand le dimanche matin, tôt.

On viendrait ici pour s’alcooliser, se droguer.

Les forts du Saint-Quentin sont un terrain de jeu, un rêve pour les Urbex, les explorateurs des décombres. On a envie d’entrer dans ces tunnels, de marcher dans ces constructions abandonnées, dans ces artères sous la montagne. On a envie d’explorer avec une lampe torche, de faire la fête dans les catacombes. Yannick n’y est jamais entré.

Un reste de voie ferrée témoigne de l’inconscience des hommes, de leur immense espoir. Construire des forts dans la montagne, établir une voie ferrée pour acheminer les vivres, les munitions. Dans l’herbe, entre la pierre, les rails avancent.

 

On se remet à courir.

On monte, jusqu’à l’émetteur.

Ce que tout le monde voit, de partout, dit Yannick.

La tour de télévision, ou de radio, le grand émetteur du Saint-Quentin.

Ce qu’on voit de partout. 

Même moi, je l’ai vu.

Il est énorme.

Il faut courir encore, il y a un endroit où la vue sur Metz est belle.

Et alors on verra toute la ville, enfin.

Parfois, on voit la banlieue, la voile blanche de Pompidou.

Mais pas vraiment la ville.

On entre dans la forêt, là où elle est la plus belle, on quitte les taillis, les sous-bois, les épineux, pour marcher sous les arbres hauts, pour courir sur le chemin des Amoureux.

On court en montant, je souffle, c’est le dernier faux plat.

 

 

La pluie arrive.

Des familles se promènent, bien que nous soyons en semaine, c’est les vacances, on promène les enfants.

Et nous, on attache la chienne.

Je cours, c’est un parcours de santé abandonné, quelques agrès en bois.

Je cours, je suis Yannick, il a la gentillesse d’attendre, de courir dans l’autre sens, pour ne pas perdre le rythme, se mettre derrière moi puis dépasser à nouveau, la chienne est désorientée. Tellement heureuse de courir.

On atteint presque le but.

On est sur un petit rehaut.

Ça descend sec, c’est ouvert, tout est ouvert.

 

Au loin, la ville.

Metz comme un rêve, une ville abandonnée, à conquérir, vue au fond de la plaine.

Et soudain, elle apparaît.

Cachée parmi les brun des toits, le vert du terrain.

Eclipsée par les tours au loin qu’on voit en premier, celles de Borny ou de Woippy, les vraies cités.

Elle traverse le chaos.

Elle est là, allongée, tranquille, depuis huit cent ans.

La cathédrale Saint-Etienne.

On repart tranquillement.

On ne court plus.

On redescend au village.

Même la chienne est fatiguée, calmée.

La nuit arrive vite.