Les mots (06.10.2021)

Premiers jours en France, premiers mots que j’écris en français. J’ai l’habitude d’écrire, mais je n’ai pas l’habitude d’écrire en français. Écrire en allemand, je le fais à l’instinct, rapidement. Écrire en français, je le fais avec discernement, lentement. Les mots m’échappent, ils ne sont pas à ma disposition.

Pendant mes premières heures à Scy-Chazelles, je ne me rappelle pas les termes pour dire « Rücken » (le dos) et « Waage » (la balance), entre autres. Des termes ridicules, des termes que je connais. Normalement.

Mais ce n’est pas grave. Les mots viendront. Je les ai invités chez moi, dans cet appartement grand et lumineux. Les mots viendront.

L’écrivaine américaine d’origine indienne, Jhumpa Lahiri, écrit dans En autre mots, un essai sur son apprentissage de l’italien – une langue que moi aussi, je suis en train d’apprendre – or il y a toujours un moment d’hésitation avant d’entrer dans une langue. Avant de se plonger dans cette langue comme dans un lac ou une rivière et de se laisser emporter par les mouvements de l’eau. Ça fait longtemps que j’ai vécu en France, longtemps que je me suis plongée dans ce lac, le lac de la langue française.

Le deuxième et troisième jour à Scy-Chazelles, il pleut. J’observe les gouttes d’eau qui tombent et j’écris. En français. Peut-être il n’est pas nécessaire de se plonger dans un lac directement. Peut-être suffit-il, dans un premier temps, de sentir la pluie sous la peau.


La musique (08.10.2021)

Hier j’ai vu – ou plutôt : écouté – un concert de mandoline à l’Église Saint-Gorgon à Lessy. C’était l’Orchestre de Chambre de la Jeunesse Mandoliniste d’Hagondange. J’aime l’expression « jeunesse mandoliniste » et j’aime le nom « Hagondange ». Il me semble étrange, mystérieux, et ma langue allemande a des difficultés à le prononcer.

C’est Yannick Groutsch qui m’a proposé d’aller voir ce concert avec lui et sa femme Chrystèle, un concert qui a lieu dans le cadre du festival Musiques sur les Côtes. Je suis encore un peu hésitante en matière d’événements publics. Bien que je sois vaccinée. Bien que je porte toujours mon masque. Il reste une certaine réticence, une réticence qui d’une part m’apparaît prudente, et d’autre part fatigante.

On ne peut pas vivre comme cela, éternellement réticent.

À Berlin, les dernières semaines avant mon départ en France, j’ai recommencé à aller au cinéma. Il m’a tellement manqué, le cinéma. J’avais un désir transcendant de voir des « blockbuster », des films à l’échelle gigantesque, de m’immerger dans les images, les paysages cinématiques. D’abord j’ai vu Dune, après James Bond.

Hier, à l’Église Saint-Gorgon, j’ai été surprise de constater que la musique aussi m’a manqué. La musique en live, sur scène. Il avait un sentiment curieux de faire partie d’un groupe, d’une foule. De voir les réactions et les émotions des autres, malgré les masques omniprésents.

J’étais assise à ma place, sur cette banquette étroite, et j’écoutais la musique. Quelle belle musique, et quelle énergie en scène. J’écoutais et je pensais qu’il s’agissait d’une leçon covidienne que j’aimerai préserver : apprécier les petites choses. Les concerts. Les films au cinéma. Les lectures. Prendre un pot avec une amie dans un bar. Être en bonne santé. Avoir une expérience collective merveilleuse.

Je suis retournée à la maison, la musique encore dans mes oreilles, une musique qui vibrait dans mon corps entier.e morceau gris du ciel.

Alors, je marchais. Je marchais de Schöneberg à Kreuzberg, de Kreuzberg à Mitte, et de Mitte à Schöneberg. Je marchais de l’automne vers l’hiver, de l’hiver vers le printemps. Je marchais.

Je marchais et j’espérais.

Depuis quelques jours à Scy-Chazelles, je marche pour découvrir les environs. D’autres jours, je marche aux bords de la Moselle, en suivant mon trajet favori. Un trajet qui me permet de rêvasser.

Elle est si belle, la Moselle. La Spree est un fleuve de grande ville, elle peut être dure, brusque. Elle est largement encadrée par Berlin, par le béton, par des immeubles. La Moselle me semble plus libre, plus douce, plus sereine.

Quand je marche aux bords de la Moselle, chaque fois je découvre quelque chose de nouveau. Un changement de lumière, un mouvement de l’eau. J’inspire profondément. Je suis sûre qu’il est possible de conserver tout cela, les couleurs, les odeurs, la lumière, pour les mois sombres à Berlin.

Les balades (09.10.2021)

Tous les jours, je marche aux bords de la Moselle. Je ne me promène pas, je ne flâne pas, je ne me balade pas : je marche.

Marcher a été une des choses qui m’a aidé à surmonter les phases les plus difficiles de la pandémie. Les mois sombres. À Berlin, l’hiver me semble toujours être plus funèbre qu’ailleurs. À Berlin, en hiver, on a parfois l’impression que le ciel ne bouge pas. Chaque jour on regarde de nouveau le même morceau gris du ciel.

Alors, je marchais. Je marchais de Schöneberg à Kreuzberg, de Kreuzberg à Mitte, et de Mitte à Schöneberg. Je marchais de l’automne vers l’hiver, de l’hiver vers le printemps. Je marchais.

Je marchais et j’espérais.

Depuis quelques jours à Scy-Chazelles, je marche pour découvrir les environs. D’autres jours, je marche aux bords de la Moselle, en suivant mon trajet favori. Un trajet qui me permet de rêvasser.

Elle est si belle, la Moselle. La Spree est un fleuve de grande ville, elle peut être dure, brusque. Elle est largement encadrée par Berlin, par le béton, par des immeubles. La Moselle me semble plus libre, plus douce, plus sereine.

Quand je marche aux bords de la Moselle, chaque fois je découvre quelque chose de nouveau. Un changement de lumière, un mouvement de l’eau. J’inspire profondément. Je suis sûre qu’il est possible de conserver tout cela, les couleurs, les odeurs, la lumière, pour les mois sombres à Berlin.