La sororité (11.10.2021)

 

Pour le lancement de ma résidence, Carole Bisenius-Penin – qui m’a reçu chaleureusement à Scy-Chazelle – a eu l’idée d’organiser une table ronde autour du sujet des femmes libres et du féminisme.

Alors nous nous sommes retrouvées hier, à l’auditorium de la Maison de Robert Schuman, avec Anne-Cécile Mailfert de la Fondation des Femmes, et trois représentantes de l’organisation arc en ci.elles de Sciences Po Strasbourg, Nolwenn, Sarah et Juliette.

Parfois j’oublie à quel point cela fait du bien, d’échanger avec d’autres femmes qui mènent cette lutte féministe, cette lutte pour l’égalité des sexes. A quel point cela me donne de l’énergie, m’inspire.

En anglais, il y a l’expression « preaching to the choir », qui signifie littéralement « prêcher à la chorale paroissiale », et au sens figuré « enfoncer les portes ouvertes ». C’est quelque chose dont je m’inquiète depuis longtemps. Mes événements attirent souvent des gens qui s’intéressent au féminisme, qui trouvent que l’égalité des sexes demeure encore un combat. En même temps, lors d’interviews, certains confères journalistes veulent savoir ce que je fais pour promouvoir mes idéaux et mes revendications chez les autres, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas encore convaincus.

J’hésite. J’hésite entre le désir de convaincre les autres que le féminisme est important, qu’il reste encore beaucoup à faire. Et le désir de ne pas devoir expliquer sans cesse une chose qui devait être évidente. Et alors je pense : Mais est-ce que je n’ai pas une certaine responsabilité ? Est-ce que ce n’est pas le devoir le plus important, de convaincre les gens à propos de cette cause ?

Dans un essai, l’auteure américaine Rebecca Solnit revient sur l’expression « preaching to the choir » et rappelle la nécessité de toujours échanger avec ceux qui partagent déjà la même opinion. D’après elle, il est aussi important de motiver les déjà-convaincus : il s’agit d’utiliser les convergences, les points communs, et de les prendre comme point de départ. De mettre le dénominateur commun au centre, afin d’agir collectivement.

Je me rends toujours compte de cela quand, à l’occasion d’un événement, j’ai des entretiens avec des personnes qui partagent les mêmes idées que moi. Je rentre à la maison pleine d’entrain, puisque je sais que je ne suis pas seule avec ce que j’essaie de faire, avec ce combat.

Se motiver et soutenir réciproquement est important, c’est une des conditions pour pouvoir agir politiquement et socialement, de quelque façon que ce soit.

Les mots de Rebecca Solnit sont pour moi alors un rappel. Un rappel que je ne dois pas toujours justifier en expliquant mes convictions. Un rappel même si certains jours je ne me sens pas capable, émotionnellement et physiquement, de convaincre quelqu’un de la nécessité du féminisme.

Il est peut-être vrai que souvent, je « prêche à la chorale paroissiale ». Mais ce n’est pas inessentiel, au contraire. C’est indispensable. Parce que ces « déjà-convaincues », elles aussi ont des doutes, elles sont fatiguées, endurcies. Et parce que nous avons besoin de nous rassurer et nous réconforter réciproquement. Pour les luttes qui sont encore en train d’être menées, pour les voix qui restent à conquérir.

Pendant la discussion j’ai regardé Sarah, Nolwenn, Juliette et Anne-Cécile – mes sœurs. Et je me sentais pleine d’énergie, pleine de motivation.

Il est beau de faire partie de cette « chorale paroissiale ».

Les enfants (15.10.2021)

Hier je me suis rendue à Le Ban-Saint-Martin pour rencontrer Karine Cerf et les enfants à l’école primaire Paul Verlaine. Les enfants ont tous environ 8 ans et ils avaient préparé des questions pour moi : Combien de livres est-ce que j’ai écrit ? Où est-ce que j’habite ici en France ? Mes livres ressemblent-ils à ceux d’Harry Potter ?

Quand j’ai montré mon livre Oh, Simone ! et que j’ai posé la question si quelqu’un connaissait la femme reproduite sur la couverture, presque toutes les mains se sont levées : « Simone ! C’est Simone ! ». J’étais impressionnée – soit les élèves étaient bien préparés en avance par leur formidable maîtresse, soit il s’agit d’enfants précoces qui adorent simplement Simone de Beauvoir. Je suis persuadée qu’il s’agit bien de la seconde possibilité. Bien sûr.

Unica (18.10.2021)

La semaine dernière, à la Maison Robert Schuman, c’était la première fois que je parlais publiquement d’Unica. D’Unica Zürn, écrivaine, artiste et poétesse allemande. Voilà, encore un de ces mots français que j’adore : « poétesse ». Je sais bien sûr que c’est un terme peu courant, on parle plutôt de « poète ». Mais c’est un terme qui me semble plus juste, puisqu’il contient quelque chose qui dépasse les lettres qui le constituent. Un sens, une musique.

Oui, elle était poétesse, Unica. Artiste. Écrivaine. Une femme qui s’est immortalisée dans des anagrammes ambigües, des dessins filigranes et des histoires complexes. Une femme dont l’œuvre se situe à la frontière des genres, entre songe et réalité, entre mélancolie douce et tristesse profonde. Une femme qui, pendant des années, menait une vie normale, une vie d’épouse et de mère de famille à Berlin, sa ville natale. Une femme qui, après son divorce, devait se débrouiller tout seule. Une femme qui a su se créer de nouveau en quittant Berlin pour s’installer à Paris en 1953 avec son nouveau compagnon, Hans Bellmer, un artiste surréaliste. Une femme qui s’est battue contre une maladie mentale. Une femme qui aujourd’hui est presque oubliée en Allemagne, où elle est surtout vue comme la partenaire d’un homme fameux, comme la « femme de » – ou comme la « folle », comme un personnage tragique.

J’ai parlé de cette femme, Unica Zürn, devant un groupe d’étudiants de l’Université de Lorraine. J’avais préparé une présentation, avec des images d’Unica, des reproductions de quelques-uns de ses dessins. J’étais un peu nerveuse : normalement, je n’aime pas parler des projets qui sont encore en cours. Peut-être que je crains de ruiner ce que je suis en train de créer. Peut-être que je crains que le produit final ne réponde pas aux attentes. Peut-être que je me sens vulnérable.

Avec Unica, je suis qu’au début de ce projet dont j’aimerai qu’il devienne un livre. Le début d’un projet, c’est un moment sacré, tout semble possible. Comme Hermann Hesse écrit dans son poème Stufen :

« Et à chaque début est inhérent un charme

Qui nous protège et nous aide à vivre »

(en allemand : « Und jedem Anfang wohnt ein Zauber inne/der uns beschützt und der uns hilft, zu leben)

Mais le début, c’est aussi un moment tendre, personnel, un moment que j’aime garder pour moi – parce que tout semble possible, oui, mais en même temps, je ne sais pas encore dans quelle direction le projet se développera. Il y a de la confusion, de l’insécurité.

Pourtant, la semaine dernière, j’ai partagé mon projet, mon projet qui vient de commencer, mon projet en cours de développement, avec d’autres. J’ai partagé Unica. Et cela m’a stimulé. J’étais rassurée sur l’écriture de cette biographie fragmentée dédiée à Unica.