Une chambre à soi (20.10.2021)

Cela fait maintenant 17 jours que je vis dans cet appartement grand et lumineux à Scy-Chazelles et je commence à me sentir vraiment chez moi.

Chez moi, normalement, c’est un petit appartement à Berlin, dans le quartier de Schöneberg. Mon appartement à moi, ma chambre à moi.

Elle était là, cette chambre à moi, pendant tous ces mois de pandémie, pendant tous ces confinements. J’ai appris à apprécier cette chambre de nouveau, cette chambre où il y a ma table, mes livres. Une chambre qui me permet de travailler, de me sentir en sécurité.

Et pourtant.

Jusqu’au début de la pandémie, j’aurais toujours affirmé que travailler chez moi ne me dérange pas du tout. J’aurais affirmé que tout ce qu’il me faut, c’est ma table et mon ordinateur. Mais tout d’un coup il se trouvait que le café au coin de la rue était devenu – inconsciemment – une partie de mon bureau. Il me manquait.

J’aspirais à une table qui n’était pas la mienne, à un espresso qui n’était pas préparé pour moi. J’aspirais à être entourée par d’autres gens et quand même seule. J’aspirais à ce fond sonore que seuls les cafés peuvent engendrer – un tapis à sons émanant du cliquetis de la vaisselle, du feulement de la cafetière, du bruissement du journal et des conversations des autres clients. Pour travailler, il me faut normalement du silence, il m’est impossible d’écouter de la musique ou de la radio, puisque cela me divertit. Le café n’est pas silencieux, mais il y règne une sorte de non-silence dans lequel je suis capable de travailler excellemment.

Parfois, j’ai eu l’impression que ma table me regardait d’une façon accusatrice – peut-être­ –   savait-elle qu’elle avait une concurrente, dont l’avantage le plus grand était de ne pas faire partie de mon appartement. Tiens, table, j’ai alors pensé, tu sais très bien que sans toi, rien ne va.

Elle m’attend à Berlin, ma table fidèle. Dans ma chambre à moi.

Mais pour le moment, je suis ici, à Scy-Chazelles, dans une autre chambre à moi, où je m’assois chaque jour devant une autre table. Je pense que ma table berlinoise comprend cela. Nous deux, nous avons passé trop de temps ensemble pendant ces mois de pandémie. Il nous faut maintenant un peu de distance.

Et dans quelques semaines, je rentrerai plus détendue, remplie de nouvelles impressions et expériences. Je rentrerai chez toi, ma chère table.

Pour l’instant, je profite de cette grande table, une table avec vue sur une terrasse. Ma table à Scy-Chazelles, dans ma chambre à moi.

Les mots d’Annie Ernaux (23.10.2021)

J’ai emmené très peu de livres avec moi en France. Mais dans le lot, il y a un entretien entre Annie Ernaux et Frédéric Yves Jeannet : L’écriture comme un couteau.

Le titre me plaît beaucoup, d’autant plus que mon ami italien Federico m’appelle toujours « Couteau Korbik ». Malheureusement, ce n’est pas à cause du fait que mon écriture est comme un couteau, mais parce que, quand je tape sur l’ordinateur, je le fais d’une manière plutôt forte, brutale. Federico trouve cela assez amusant. Moi, je préfère bien sûr imaginer que mon écriture est aussi précise et pertinente que celle d’Annie Ernaux. C’est important, imaginer.

Mais bien sûr l’écriture d’Annie Ernaux est singulière.

Dans cet entretien avec Frédéric Yves Jeannet, Annie Ernaux dit : « D’autre part, je suis persuadée que la syntaxe, le rythme, le choix des mots, correspondent à quelque chose de très profond, où se combinent les marques des apprentissages multiples (textes classiques étudiés pendant plusieurs années à l’école, découvertes successives, personnelles, d’auteurs) et ce qui n’appartient pas à la littérature, qui relève de l’histoire de celui qui écrit. »

L’écriture comme une expression de l’histoire personnelle, de toutes les choses apprises. De tout ce qui nous inspire.

Au fils des ans, les mots d’Annie Ernaux m’ont beaucoup appris, ils m’ont inspiré. Ce sont des mots qui me nourrissent encore.