L’ami (09.11.2021)

Ici, à Scy-Chazelles, j’ai trouvé un nouvel ami.

Je ne sais pas grand-chose de sa vie, de ses préoccupations. Je ne connais même pas son nom ou son âge.
Mais quand je me balade aux bords de la Moselle, il est presque toujours là. Il m’attend – au moins je veux y croire. Il me regarde, tranquillement, majestueux. On est là, côte-à-côte, et on observe les mouvements de l’eau.
Il ne parle pas. On se tait. C’est important dans une amitié, être confortable comme cela. Être confortable, en silence.

Pourtant, il y a des discordances.

Parfois, mon ami s’approche des pêcheurs, il reste avec eux, il m’ignore. La semaine dernière, il m’a évité. Quand je me suis approchée, il a fui. Je me sentais rejetée, blessée.
Je crains d’être trop investie dans cette amitié. Je pense qu’elle est peut-être plutôt unilatérale.
Mais dimanche dernier, dans la pluie, on s’est retrouvé. Mon ami et moi. Il m’a attendu sur le chemin, avec un regard tranquille, majestueux. La pluie ne l’a pas dérangée.

On était là, côte-à-côte. Moi et mon ami. Mon ami capricieux, le héron.

Robert (10.11.2021)

Ce sont les petits détails qui constituent la vie de quelqu’un.

Qui transforment quelqu’un en individu, avec ses habitudes, ses préférences, ses passions.
Quand j’écris des biographies, des portraits, ce sont ces petits détails que je cherche et qui m’attirent. Ce sont ces petits détails dont j’ai besoin pour avoir une idée plus précise de quelqu’un. Simone de Beauvoir, par exemple, n’aimait pas le fromage et ne fumait pas vraiment, elle clopait. Françoise Sagan buvait toujours de l’alcool fort et n’aimait pas beaucoup prendre de bains de soleil.
Cette semaine, j’apprends des petits détails de la vie de Robert Schuman.
Dans la maison de famille de Robert Schuman, ils sont partout, ces petits détails que j’adore. Des photos de représentants royaux, une loupe sur le bureau, une croix à côté du lit, un transistor avec une réception internationale, un canapé en cuir noir qui tranche avec le reste du mobilier. Et, bien sûr, des livres. Des livres partout. Des livres dans plusieurs langues.

Loïck, qui a gentiment accepté d’être mon guide privé, m’indique quelque chose dans une vitrine. J’ai envie de pousser des cris de joie : ils sont là, les quatre tomes du roman Les Mandarins. Elle est là, Simone de Beauvoir, ma Simone, dans cette vitrine, au milieu des livres de Schuman ! Moi, je suis devant la vitrine, une image en tête : Schuman, assis derrière son bureau ou confortablement dans un fauteuil, Les Mandarins en main, le regard concentré. Est-ce que ce roman lui a plu ? L’écriture de Simone de Beauvoir ? Je pourrais aussi imaginer cela : discuter de littérature avec Robert Schuman.

Oh, Robert.

Pendant mes études, Robert Schuman était un homme presque mythique, un des pères fondateurs de la construction européenne et un pionnier de l’amitié franco-allemand. Il était un de ces grands hommes qu’on commémore et qui sont presque devenus des monuments.
Mais Robert, il n’est ni un mythe, ni un monument. Il était un homme avec un cœur français et une âme européenne. Il était aussi un homme qui dormait dans un lit incroyablement petit – Loïck est persuadé qu’il dormait en position assise, comme les rois.

Des détails, des petits détails.

Schuman était aussi un homme qui détestait conduire et pour cette raison préférait faire de l’auto-stop. Il demandait leurs coordonnées aux conducteurs et leur envoyait une lettre de remerciement, signée Robert Schuman. Quelle surprise pour ces conducteurs occasionnels ! L’étranger du bord de la route se révélait être un politicien connu, un ministre.
Ce sont aussi des détails importants : comment quelqu’un traite les autres. Loïck me raconte que pour les dîners avec des amis et des invités, Robert Schuman mandatait du personnel extérieur, pour soulager sa gouvernante Marie, qui normalement s’occupait de tout. Marie, qui permettait à Schuman de travailler, de réaliser ses projets politiques. Une femme qui était au second plan mais qui était essentielle. Schuman, le savait.

 

Des détails, des petits détails.

Quand je quitte la Maison de Robert Schuman, tous ces petits détails se mélangent dans ma tête. Ils forment une idée, un portrait. Un portrait d’un homme nommé Robert Schuman.