Traces de textes 1 Ce qui est, a été, et sera

Atelier à la fac

L’une a dit écrire souvent. Des poèmes. Avoir participé, même, à des concours. Au Luxembourg. Des concours de printemps. Et, certains, les avoir remportés.

L’une a dit écrire des histoires. Aimer imaginer. Ne pas les partager.

L’un a dit écrire des textes sur des livres. Résumer un livre pour pouvoir s’en souvenir, après.

L’un a dit qu’un texte c’est quelque chose qui est, a été, sera.

L’une, qu’un texte c’est une forme sur un espace.

Il y avait dans la BU, sur une table haute, un échiquier. J’ai pensé, à cause des deux tabourets hauts, au far west. Ouvrir les saloons et se hisser sur un tabouret, avec encore les pistolets contre la cuisse et le pantalon raide. Six joueurs se sont relayés l’après midi. Trois parties. Ensuite, l’échiquier était calme. J’ai pensé devant les deux parties rangées et face à face à ce qu’écrit Bernard Marie Koltes. « Un dialogue, c’est deux monologues qui cherchent à cohabiter ».

Merci à Carole qui a tout organisé. Merci à Audrey, leur professeur.

Je marche.

Je marche.

J’ai besoin de faire des tours. De descendre et monter.

Comme, peut-être, les chats.

En même temps, je suis routinière. J’ai besoin que les jours se ressemblent.

Il y a la ligne toute droite pour aller de Scy-Chazelles à Metz, avec les minuscules nuances de choix possibles mais sinon: la ligne. Elle me convient. Elle me rassure. Je sais que le long il y a : le manoir à vendre et les pizzas à emporter; la fin de l’autoroute, plusieurs kebabs, des laveries et des coiffeurs, l’arrêt Verdun et l’arrêt liberté, une boulangerie que j’ai pour l’instant toujours vue fermée…

J’avais demandé, avant de partir en résidence, à ma mère, quelle archive, elle m’aurait, elle, confiée, si elle était tombée sur mon appel à traces. Elle m’a dit : « mon diplôme du capes. L’en tête de l’entreprise de mon grand père en Algérie. L’arrête de ma pension de retraite, ma troisième vie ». J’ai été étonnée qu’il n’y ait rien sur son mariage et ses enfants. Peut-être ces trois documents étaient-ils : vraiment elle, toute seule. Sans nous. Si elle avait dû, pour le travail d’une écrivaine, choisir. C’était ce qu’avait écrit, j’ai lu, une étudiante : rencontre avec l’écrivaine Milène Tournier. C’est toujours quelque chose, je crois, lire ça: l’écrivaine. Comme se retrouver baptisée.

Il y a le soir cette diagonale de la chambre jusqu’aux toilettes. Le détecteur de fumée qui détecte aussi la présence, alors qui s’allume discrètement, le temps du hall. Et j’ai l’impression d’être un feu de passage, pas inquiétant, mais qu’on note et, même, on l’accompagne.

J’écris pour l’instant avec les traces du présent, des environs. Mon projet n’est pas complètement défini. J’imagine quelque chose qui mêlerait : les traces des villes: panneaux, livres d’or, publicités…  ; les traces orales : des textes sans textes, des textes encore dans les bouches, avant les mains, et que je capterais  ; des textes sur des archives : les miennes, celles confiées par des personnes ; et un texte un peu plus long sur ce que c’est un texte. La forme précise ne m’occupe pas encore trop. Pour l’instant, je ne veux que marcher, filmer, photographier, un peu écrire. Parfois je m’oblige à m’asseoir pour écrire et lire. J’écris peu. Je marche. Je ne rentre que le soir. Il tombe vite. Hier, j’ai effrayé une dame, on se croisait dans le lotissement, elle a sursauté en me voyant. Je me suis excusée. Pardon je vous ai fait peur. Elle a dit : c’est qu’il fait noir. Elle a dû me prendre pour un homme, j’ai pensé un peu bêtement – pourquoi en tant que femme je n’aurais pas pu lui faire peur ?