Concert de jazz dans l’église Saint Rémi
Estelle de la bibliothèque m’a gentiment donné sa place. Des jeunes rient du monde: c’est comme la messe de minuit. C’est vrai que l’église est pleine. À la fin, Madeleine, qui m’a, elle, gentiment gardé une place, vers les premiers rangs, me dira : il y a plein de gens que je ne connais pas, des gens des quatre villages. C’est un concert de jazz. La Nouvelle Orleans, des années 20, 30, 40. Un flyer distribué à l’entrée égrène les titres que le groupe va jouer. Mais rapidement le groupe ne suit pas l’ordre et commence par « Bourbon street parade », la deuxième du flyer. Et enjambe Dinah, la première, et joue en deuxième la troisième « Roses de Picardie ». Et reprend avec « I can’t give you anything but love », la septième, en troisième. C’est du jazz. Le flyer est seulement un canevas. Parmi lequel piocher. « I’ve found an other baby », « just a clother walk with tee » … Pourtant bêtement on l’a dans les mains. C’est un papier et on s’y accroche on y revient. Le groupe joue et annonce à la fin le titre de la chanson qu’il vient de jouer et de la suivante. Et en joue deux, celle annoncée, et une autre dont nous dire après le titre. On fait concorder le flyer avec le concert . On suit, on met le doigt: celle-là. Comme l’ordre n’est pas chronologique, on devine le titre pendant la chanson. Est-ce que « Struttin’ with some barbecue » ou est-ce que plutôt « Honeysuckle rose »? Une trace, une trame, une promesse, et on s’y tient. Le groupe joue bien. La petite vierge joufflue, en face de moi, danse et les stalles tremblent des pieds en cadence. Et les mains jointes en prière se déjoignent pour applaudir. Dehors l’esplanade. Les arbres comme un groupe eux aussi. Et tilleuls et marronniers grands dégingandés pourraient eux aussi tenir un instrument. J’ai vu passer une pétition « pour une protection juridique des arbres de Scy-Chazelles ». Et que leur musique muette, de feuilles, branches et vent, ne puisse être interrompue. La doléance des arbres. Celle douce du catalpa de Jeanne d’arc. Celle régulière des peupliers d’alignements le long de l’étang. J’ai imaginé depuis l’église doucement vriller les tilleuls, en rythme. Contrebasse, banjo, trombone à coulisses -je ne connaissais pas ce curieux instrument – -curieux parce qu’on dirait un saxophone étiré, un instrument imparfait alors que généralement les instruments de musique me font la même impression que les chats: qu’ils sont parfaits, étranges mais parfaits et ils ne pourraient être que comme ça, et les chats feraient croire à mon père en dieu, et les instruments moi, qui suis si peu mélomane, aussi, en Dieu, parce que même inventés on dirait qu’ils ont été créés.
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