Je lis sur le petit parking, celui dans le dernier virage avant l’église Saint Rémy, un livre emprunté à la bibliothèque. Recommandé par le Club des lecteurs et disposé sur une table présentoir par Estelle. C’est un livre dont le titre est entre guillemets. « Je me promets d’éclatantes revanches ». Le livre est de Valentine Goby. Son titre, la phrase, de Charlotte Delbo. C’est un livre d’autrice sur l’écriture d’une autre. Valentine Goby raconte sa découverte des textes de Charlotte Delbo, debout dans la bibliothèque « je lis debout, épaule appuyée aux rayonnages, la nuque cassée, à hauteur de la lettre D. […] j’ouvre un volume un jour d’octobre 2001, la veste mouillée de pluie, l’écharpe nouée. C’est comme ça que ça commence. Dans la pénombre, le silence, l’inconfort ». Plus loin elle dit qu’écrire c’est creuser sous soi. Elle rapporte ce souvenir : « je me revois, petite fille, chauffer à l’ampoule d’une lampe une page écrite au jus de citron, jusqu’à ce qu’apparaisse le message caché. La littérature n’a eu d’autre mission que sonder les cavernes, allumer des torches. Lire a été non une quête d’exotisme mais une entreprise d’excavation ».
Deux dames passent dans mon dos. Il y a une dame sur le banc dit la plus jeune. Je les salue. On parle du soleil. Ça fait du bien. Ça fait longtemps qu’on ne l’avait plus eu comme ça. Elles repassent dans l’autre sens, peut-être espéraient-elles s’asseoir sur le banc où je suis. L’autre est à l’ombre. J’entends la plus jeune vouvoyer, elles ne sont donc pas mère et fille.
Un hélicoptère passe sous les nuages. Les arbres autour des voitures figées ne sont pas encore oranges. Valentine Goby parle du blanc au milieu des pages de Charlotte Delbo, qu’elle rapproche de la neige à Auschwitz.
…………………..…………………..……..…………………….
C’est samedi lent. Simon Fieschi, je l’ai appris ce matin par les journaux, est mort. Il se l’est donnée, écrivent certains. Il était (avec l’association AFVT) venu plusieurs fois rencontrer des classes au lycée dans lequel je travaillais comme documentaliste. Je revois son intelligence, sa façon de déhancher dans un rire les tables trop mises. Je le revois dessinant French cancan, sur le tableau du CDI, avec les élèves. Et plongeant, aussi, ses questions et son regard, dans nous en face, peut-être comme s’il y avait pu avoir là, dans le dire et s’assurer d’une entente, l’espérer, une nécessité et un appui. Je le revois, vacillant mais aussi plein de force – en même temps brillant et sombre, plein de charme.
Il est 17 heures et le soleil chauffe encore. Insignifiante revanche.
………..…………………..……………………………………
Je monte à l’église. J’ai moi aussi écrit il y a quelques jours un mot dans le cahier d’intentions de prières que je viens lire: « Merci pour ces quelques jours ici à Scy. » Il me sert de mesure. Entre ma venue et la suivante. J’écris aujourd’hui : « merci de laisser l’église ouverte. C’est cadeau simple. » On s’était dit avec Estelle qu’en dehors des bibliothèques -et des laveries j’ai ajouté-, il y a peu aujourd’hui de lieu où l’on peut entrer et s’asseoir, sans devoir acheter quelque chose ni montrer de patte préalable ou de carte blanche.