Œuvre textile  : Sidival Fila

Cela commencerait ainsi.

Me voici à Scy pour remonter les pistes familiales, les lignes, les courbes, les traits brisés, les branches coupées. Et ça ferait comme une toile immense, un toit de poutres de bois en croisées, un tissage immense de tous nos fils entremêlés.

Dans le gîte rural en bas du village entre Scy-Chazelles et Moulins, comme l’indique le L5 pour me rendre à Metz, je reste à interroger les pistes des archives sur Internet pour remonter à notre ancêtre artiste et résistant qui nous scelle malgré lui, Michel Thiria maître verrier, à joindre des associations pour avoir des clés des églises fermées où seraient encore conservés certains de ses vitraux, et à commencer à écrire ce qui doit être le début de ce qui me relie à ici la Lorraine et qui me lie à toi, mon père, dont j’ai hérité du nom messin Thiria et qui reste prisonnier de ta maladie à Paris.

Mon projet est simple et compliqué à la fois, d’une urgence folle puisqu’il doit être fini avant ton dernier souffle. J’ai deux mois, c’est court mais qui sait quand survient la fin ? Il s’agit d’écrire un texte pour toi, un hommage de ton vivant pour que le livre soit entre tes mains avant que tu ne sois emporté. Je le veux digne réceptacle de ta lumière, de tes rires depuis toujours, mêlant nos deux enfances dans un présent inépuisable et continu.

Ce texte grandit depuis déjà quelques mois mais je voulais l’inscrire en territoire. Alors me voici ici à m’inscrire dans une Lorraine imaginée depuis l’enfance où je l’ai quittée. Depuis la maison familiale et son blockhaus à Dieue-sur-Meuse, que je n’ai pas revue depuis mes quinze ans mais dont on m’a confié les clés comme un trésor dans la poche intérieure de mon sac, il me faut reconstruire une histoire, remorceler un corps, le mien oublieux et le tien rongé par le cancer, dans une commune présence.

Alors jour après jour je trace des mots, je déchiffre des signes pour tenter de dire, dans ce couloir étrange qu’est une terre dans la frontière aussi bien spatiale que temporelle, ces mots qui peu à peu forment poème de ton vivant.