Chronique 2

Peut-on faire une enquête qui demande du temps, d’aller de piste en piste, de trouvaille en débâcle à travers les années alors que l’on souhaite aussi écrire dans une urgence de dire, une urgence de vivre, celle de te dire, le père que tu es, dans ce temps qu’il te reste à vivre ?

 

Ici, à Scy, puisque j’ai peu de temps en territoire, je vais m’inscrire dans l’urgence d’une quête qui est une véritable enquête familiale dont Michel Thiria serait le héros, le lien de lumière de toi à moi. Qui sait si à partir de lui, je ne te connaitrais pas mieux, sous un autre éclairage, à travers le vitrail ?

Cela commencerait une nuit parisienne en pleine crise infectieuse. Un médecin urgentiste me dit au moment de rédiger l’ordonnance à mon nom qu’il connaît mon ancêtre pour faire une thèse sur l’art nouveau et la ferronnerie d’art. Michel Thiria était maître verrier et il connaît son œuvre. Nous restons en contact par mail et il me fournit un certain nombre de documents. Je découvre l’artiste autant que l’homme engagé politiquement pour une Lorraine libre, sa résistance dans des journaux, son enfermement dès 1914 dans la forteresse d’Ehrenbreitstein à Coblence

Cela commencerait comme un lien entre toutes ces urgences, des urgences médicales à celles de dire et de penser : l’urgence parisienne de cette nuit, l’urgence d’écrire avant ta mort, l’urgence de penser dans un monde de repli à l’urgence de prendre soin et de protéger qui renvoie au blockhaus du jardin de mon enfance en Lorraine servant d’abri aux blessés.

 

T’écrire ce serait comme revenir sur tes traces, tracés de lettres comme autant de signes. Je me ferais indienne ou chasseuse d’ombres à te pister. Et c’est en Lorraine que cela commencerait. Comme d’autres ailleurs possibles où tu as posé tes pas, où resteraient ce que Michèle Desbordes nomme les « petites terres ». T’écrire c’est prendre voix entre les feuilles rousses des forêts, les souvenirs du goût des mirabelles comme ceux des sons de la grande horloge dans la petite maison de Dieue devant laquelle ta grand-mère chaque soir à 8h chantonnait toujours le même air et vous à sa suite.

 

La Lorraine comme un logis entre deux mondes, dans la frontière. On ne sait jamais trop qui l’on est, qui l’on reste pour les autres, et cela te va bien d’être écrit ici à l’est, à t’imaginer comme on inventerait un mythe à partir d’une constellation d’indices.