Le train passait derrière les buissons comme un animal fait trembler le feuillage, et on sait que c’en était un, parce que quand il part, tout s’arrête de frissonner.
J’ai filmé tous les tableaux de la boulangerie, comme, l’après-midi, tous les vitraux dans l’église
Le boulanger pensif. La vendeuse toute ronde. Le fils du boulanger que le fils du voyou voudrait bien arracher à ses fourneaux.
J’ai vu le gardiennage sur terre des bateaux.
« Moselle coule dans nos veines » écrivait le tag.
Le cygne tirait dans ses plumes la rivière.
Les corneilles, j’ai cru, s’étaient donné rendez vous là, sous le pont. Et j’ai vu après, pour quel triste élu. Un pigeon qui ne bougeait plus.
Un père et un fils regardaient couler dimanche en silence.
J’ai vu l’invasion douce des nymphéas, métastases cléments, sur les flots.
J’ai vu le voyage des montagnes noires, avant l’éternelle immobilité.
Il y avait un poème entre les tags, sous le pont : Des oiseaux avec de grandes ailes grandes / en cerf volant au dessus des têtes des jeunes gens / des églises, des égouts ».
On se suivait, moi à pieds, lui par l’eau alors j’ai vu l’endroit où le cygne range sa patte pour nager, comme on repose son stylo.
Les maîtres marchaient laisse en main, et les chiens loin devant, lâchés.
Parfois l’un me dépassait. Je faisais comme si c’était le mien, à part quand des vélos arrivaient et que je ne savais pas faire, pour le retenir d’aller.
J’ai imaginé à cause du reflet du clocher les cloches sonner sous l’eau et le gong aussitôt s’assourdir.
Metz un peu vénitienne.
J’ai vu la piscine abandonnée.
J’ai vu l’arbre plonger, comme enfant je donnais ma tête à l’envers pour le sèche-cheveux.
Les enfants avaient peint des mots, entre buée et phalanges, comme Chagall, sur ses vitraux.
J’ai vu à la cathédrale la statue yeux bandés.
On demandait le silence dans toutes les langues. Silence Ruhe Quiet.
J’ai vu la statue à deux têtes, et dans la cathédrale l’infiltration, comme humide visitation.
Le maçon était enterré sous sa cathédrale.
Sous cet autel git Maître Pierre Pierrat, le maçon, maître de l’ouvrage de céans.
J’ai vu l’homme seul, dans la cathédrale pleine.
L’enfant priait Dieu d’enlever le diable.
Je me suis collée au groupe pour entendre la visite sur Chagall. Comme Chagall était juif il ne pouvait pas représenter Dieu alors regardez, là haut, il a peint un astre.
La guide a expliqué aussi le dragon en pied d’orgue: le graoully qui hantait les amphithéâtres, avant d’être jeté dans la rivière.
Le silence spécial de chaque langue, et, dehors, les cris de la ville.
Le bruit étincelant, au ciel, des écailles des dragons qu’on a noyés.
Et l’aboiement d’ennui, l’après-midi, des chiens.
C’était dimanche, les piétonnes commerciales fermées, à part les tacos et les kebabs. Et presque l’hiver; alors sur la grande place pas toutes les terrasses étaient déployées.
J’ai marché jusqu’à l’église Saint Martin, où le saint partageait son manteau.
J’ai lu par-dessus toutes les épaules qui s’y étaient penchées les prières tracées dans le livre de prières. Je rends grâce pour tant de grâces.
Faite que ma meilleur amie sois avec l’homme quel souhaite être. Amen.
J’ai vu la vierge quand son fils est mort, se consoler de l’avoir, elle, toujours un peu vivant, dans son ventre.
Une dame priait en doudoune dans la petite aile.
Dehors, les pigeons s’agglutinaient aux rosaces de la porte.
J’ai quitté les clochers pour encore l’eau.
J’ai cru filmer sur un toit un oiseau empaillé, un leurre, et j’ai vu vivre soudain l’image.
J’ai marché sur et sous les échangeurs. Sur et sous les tumultes.
écrire, moi, c’est marcher.
Parce que c’était sur un pont, il se partageait quelque chose d’autre que se croiser, quand on se croisait. Comme si sur un pont les choses forcément étaient un peu plus que les choses. L’homme et son chien. Le fils et sa mère en fauteuil roulant.
J’ai vu le Pont des Morts.
Le panneau expliquait : l’impôt sur les habits des morts et j’ai pensé au manteau coupé de Saint -Martin. « Le pont des morts doit son nom à une charte de l’évêque de Metz qui établit que le meilleur vêtement de toute personne venant à mourir devra être légué à Saint Nicolas à charge pour lui d’entretenir le pont ».
Les ponts, passeurs humbles (humble est un mot plutôt de ma mère que de moi) entre les deux arches, de naître et ne plus.
C’était le soir tout limpide. Quand la dernière boulangerie dominicale ouverte serait fermée, quelques uns viendraient prendre trois choses au supermarché autonome.
J’ai vu le chien porter sa laisse comme tenir son histoire sur sa langue. Et son maître m’a expliqué : parce que son frère, un golden retriever, faisait ça, alors lui, quoique un cocker, le fait aussi.
On avait il y a quelques jours déterré à grand bruit la chouette d’or dans un village de la Moselle, non trop loin de là, alors je n’ai pas dérangé la hulotte qui, disait le panneau sur mon chemin, vivait là. « Dans ce petit coin de nature, une chouette hulotte a pris ses quartiers. C’est un rapace nocturne qui niche dans le creux d’arbre. Vous pouvez entendre son hululement caractéristique. Très attachée à son territoire, la chouette hulotte ne migre pas ».

Journal ouvert

On m’a dit ce soir que la gamme des notes de musique se trouve ou se retrouve dans notre colonne vertébrale. Que les gammes en quelque sorte sont naturelles, sont anatomiques. Qu’on devrait chanter chaque jour, avec sa voix, avec ses vides. Le feu crépitait parfois autour de Magnificat, Stabat Mater et du credo de paysans. J’imaginais contre nos chaises, couler le long de nos vertèbres, silencieux tatouage: Do re mi fa sol la si do. -Enfant j’entendais toujours Lassie, le chien.

Si la fille était la lune
Elle n’aurait trouvé comme principe d’apparition
Que celui de l’accumulation

Et sans effacer ses vieilles traces ni se faire une beauté -une beauté  une forme –
Chaque soir serait venue avec sa traine des veilles
Jusqu’à au lieu de l’éclairer boucher le ciel entier.

Sa cagoule ne tourne pas quand il tourne
Et l’enfant se retrouve l’œil sous la laine
Comme une éclipse mal ajustée.

Journal ouvert

Le labrador se terrifiait de l’escalator. Alors l’enfant l’a porté
Comment est
La première nuit de mort
Des morts ?

Sur le gazon tout juste tondu
Une gélule rouge et blanche
Pour que le jardin soit bien
Celui de l’hôpital.

Si j’étais un pommier
Je mangerais mes pommes
a envisagé la réincarnation l’enfant.

Il était maigre

Elle un peu pas ronde mais charnue, le mot est laid
Il avait l’air extrêmement gentil
Elle avait une paupière tuméfiée et de très longs cils, faux
C’est lui qui portait le sac
Le sac ne fermait pas je ne sais pas si à cause de la sorte de couverture dedans ou de la fermeture éclair je ne suis pas penchée assez
Je me suis demandé s’il la battait.

Ma mère – qu’elle frottait les bretzel pour enlever le sel.
Ma mère – qu’elle n’aimait pas la crème ni les gâteaux au beurre, par contre bien une fine couche de beurre, dans un bretzel ouvert en deux.
Je frotte aussi les bretzel.
Je souris moins qu’elle en les mangeant. D’ailleurs souvent il m’en faut deux.

Faire le mur / faire le mort

Je fais un saut à Paris. C’est l’étrange de quitter un temps. De retrouver sa ville, sa vie. 

J’ai pris le bus. Un Flixbux. J’ai écrit, dedans, un texte à la troisième personne. 

Elle s’est déplacée pour rejoindre la place tout devant, à l’étage supérieur, d’où voir entièrement la route, dans cette pleine vitre et cette même vision que le chauffeur mais, elle, d’un peu plus haut, et sans la responsabilité d’un volant – et des quelques 15 personnes qu’ils sont ce dimanche sur l’autoroute, dans un car fluo à deux étages, à traverser de ville à ville un ciel flou et une aube tardive, le soleil ne grimpe pas sa place, que des avalanches sans fracas de brume, dont n’émergent les voitures en face, dans l’autre sens, que quand vraiment proches, et sans la barre de séparation il faudrait craindre deux cécités qui se rencontrent au milieu du brouillard. Les voitures en face, dans l’autre sens. Le chauffeur dessous. C’est l’automne pas trop froid. Elle a oublié qu’il y aura l’hiver. Si elle pense aux saisons, elle pense au printemps.

Et ce texte en je. 

Saut par Paris. Suis passée, manière de lien, dans la rue Cité Veron, voir l’ancien Théâtre Ouvert. Bernard-Marie Koltès le messin natal a dû venir ici. Aujourd’hui des pavés, des autocollants « ne pas accrocher vos vélos aux plantes », encore le T de théâtre. Le boulevard Clichy qui dévale, entre sexe et crêpes, et les places prévues pour les véhicules devant les boîtes et cabarets « dépose de nuit ». Une fille est passée qui m’a souri. Elle vient sans doute voir elle aussi un vestige. On ne vient pas dans une impasse par hasard. 

Et je suis allée, à deux pas du Théâtre Ouvert fermé, au cimetière Montmartre, regarder sa tombe. D’abord je ne la trouvais pas, je cherchais chemin Saint-Eloy. Il y avait un chat noir. Peut-être deux chats noirs mais le même. Je savais que le chat ne me la montrerait pas. Je savais que ça n’était pas un signe. Quand même je suis restée. Le chat, ou l’un des deux (les deux étaient noirs mais l’un plus petit que l’autre), grimpait au-dessus des tombes. Il avait un collier. C’était un chat d’appartement et le cimetière son jardin. Il était beau, en haut des tombes, narguant d’échine nos temps comptés, nos fleurs et nos dévotions. J’ai finalement trouvé la tombe. Elle était près du mur d’enceinte, juste derrière. Une tombe blanche. Près d’un mur j’ai pensé c’est bien. Pouvoir s’échapper. Voyager encore. 

À nouveau, quelques textes écrits ici, à Scy. Qui sans doute, d’une manière ou d’une autre, portent la trace de ce temps de résidence

Mais ne vous échappez pas du chemin parce qu’il peut encore y avoir des bombes

M’a dit la dame dans l’église à qui je demandais
Si je peux aller marcher vers le fort
Presque un siècle après nos guerres.

Sans tirer, mon cœur,
Apprenait la dame la laisse à son chien:
C’est cela que nous faisaient les adieux,
Tirer notre cœur.

Attention au départ

Répéte la petite fille après le train
A qui son grand père dit tu es un perroquet tu répètes tout
Et elle ne m’a pas fait le plaisir des ronds , de répéter ceci, bien sûr.

J’ai vu la mère, lorsque le train entrait en gare, compter les voitures, 14, 15, 16, et à la 17 dire, vite, à la petite de se cacher derrière le poteau ( j’avais cru qu’elles allaient monter). C’était donc une surprise et elles attendaient quelqu’un. Mais postée moi, pour grimper dedans, à la porte du wagon, je n’ai vu personne qui en descendait s’arrêter sur le quai et les chercher et s’étonner -ou feindre de s’étonner « oh mais où est ma petite oh mais c’est à qui cette main qui dépasse de ce gros poteau ». J’ai vu la petite fille res-ter cachée. Et sa mère, chercher de la tête vers la rame. Et je suis montée, toute la 17, donc, descendue. Je ne sais pas si la petite est toujours derrière son poteau, si la vie a fait une mauvaise surprise à sa surprise.

Temps parfois , son lent lynx.

Journal fermé

Est ce que la seule consolation à leur mort sera me dire : ça n’arrivera plus. Je n’aurai plus à les perdre.

Journal fermé

Il faudrait quitter ce Paul seul ouvert de Toussaint et aller faire une ballade ainsi qu’on dit, dans un coin vert. Avant que la nuit tombe. Et qu’ainsi j’ai fait quelque chose d’autre que respirer. ( c’est pour la phrase. En réalité c’eut été beau mais je n’ai pas respiré d’ailleurs le pantalon me serre, comme cette journée me serre, étant trop grande ).

Journal fermé

« J’ai besoin d’aide pour comprendre ce qui ne va pas avec ma plante. Je ne sais pas le nom quelle porte et donc ne trouve pas de conseil. Quelqu’un sait com-ment faire pour lui redonner des feuilles ? »
Cést beau. On dirait qu’elle est avec un inconnu. Qu’elle retrouve le frémissement de l’inconnu. Je dis c’est beau parce qu’aujourd’hui je suis lasse d’écrire mais il faudrait un autre adjectif.

Journal fermé

Parfois j’en ai assez d’écrire mais quoi vivre d’autre ? Il faudrait recommencer tout. Être gentille.

Il y a ces façons qu’ont les pneus de voiture de s’aplatir sans céder, roseaux caoutchou-teux, quand l’on s’asseoit à l’avant, avec tout notre poids de chair.

La vieille dame tricotait mais
Défi de petite fille
Avec un ballon de baudruche, dans les mains.

Journal fermé

Si j’avais un vœu égoïste :
Retrouver le goût de lire, les après-midis entiers, et ne pas comme aujourd’hui devoir fermer un œil pour lire parce que mes yeux ont désappris la magie naturelle ou qu’en tout cas ils savaient bien, de s’épauler et relayer l’un l’autre sans que ce qui tient de l’un ou est le fait de l’autre se discerne et je lisais, victime, et, même, sa préférée, du temps si le soir arrivait avant de voir l’après-midi.

Ahou Daryaei. La puissance de ses bras croisés. Sa simplicité totale. Désarmée. Mais, aussi, imperturbable – ou peut-être imperturbable c’est moi qui vois de trop loin.

Shanna voit un avion qui roule sur la route,
Elle entend son cœur qui bat.
Elle touche le mur avec ses mains.

Quand il marche dans la ville,
Malik sent des fleurs à la fraise.
Il voit des gens; l’école et des maisons.

Quand elle marche dans la ville,
Annaelle entend les oiseaux marcher.
Elle sent les fleurs voler.
Elle touche les arbres bouger.

Quand elle marche dans la ville,
Anissa voit les chatons qui miaulent pour manger la souris.
Elle entend l’arc en ciel ( l’arkansiel) qui rigole.
Elle touche les nuages qui la détendent.
Elle goûte la soupe d’arc-en-ciel.

Quand il marche dans la ville,
Mateo voit une maison de sucre d’orge ( sugredorche).

Quand il marche dans la ville,
Adam touche un mammouth.
Il voit un match d’écoles.

Quand elle marche dans la ville,
Manel voit la Tour Eiffel danser.
Elle entend des pas.
Elle touche des toboggans.

Quand il marche dans la ville,
Maël voit des maisons rêver.
Il sent l’air et les chats.
Il entend des fruits.
Il touche la table des mots.
Il goûte le pain des boulangeries.

Quand il marche dans la ville,
Kazen sent le pain dans le four.
Il touche une raie qui regarde les gens.
Il goûte un sandwich qui parle.

Quand elle marche dans la ville,
Yara voit Paris.
Parfois elle voit la maîtresse.
Elle touche une fleur.

Quand il marche dans la ville,
Suhail sent l’eau.
Il entend les oiseaux.
Il goûte une pizza.

Quand il marche dans la ville,
Liam voit l’école qui marche.
Il touche un arbre qui parle et qui voit.

Quand elle marche dans la ville
Kaweil-Anne entend des oiseaux.
Elle voit des avions.

Quand il marche dans la ville,
Marceau sent l’air.
Il entend des voix-tures.
Il touche des arbres pour leur faire un câlin.

Quand il marche dans la ville,
Leny entend des feuilles.
Il touche les chiens, les chats.

Quand il marche dans la ville,
Félix voit des pavés des arbres des bus des magasins.
Il ne sent rien de très bon.

Quand elle marche dans la ville,
Elsa touche une feuille qui marche.
Elle goûte une pomme à la pomme.

Quand il marche dans la ville,
Joul voit des gens qui parlent et qui chantent.
Il entend le vent.

Quand il marche dans la ville,
Rigers voit la tableau de l’école qui se promène dehors.

Pour elles, pour eux, la poésie c’est
-Calme.
-Reposant.
-Du plaisir reposant.
-Une table qui de la magie.
-Un exposé.
-Un arbre.
-Une chanson.
-Une musique.
-Un dessin.
-Quelque chose qu’ils aiment.
-Une maison en brioche.
-Bien.
-Génial.
-Une chanson comme une maison.

Merci et bravo à chacun, chacune, Merci Karine leur formidable institutrice, Merci Madeleine, qui a accompagné les mots, s’est penchée vers les dessins. »

Quelques poèmes écrits ici, à Scy. Je crois que, comme les plantes, les textes ont des « racines pour aspirer les condiments du sol ». Et qu’alors, sans tous directement évoquer Scy-Chazelles et ce temps de résidence, ils en parlent bien quand même un peu.

 

Pas tellement du réel mais

D’un environ

Et d’un souvenir

Essayait la dame de déterminer ce dont

Elle a besoin pour, et quoiqu’elle le prononce à petite voix : vivre.

Leurs racines servent aussi à aspirer les condiments du sol

M’a expliqué par écrit ma mère

La vie des plantes

Après que je lui demandais

Où mettre l’eau, dans son pot ou sa coupelle,

À la plante dont j’étais l’invitée.

Et pour ne pas trop réaliser l’effroi du vivant, dans la pièce à côté,

Je répétais au milieu de la mienne :

Vos racines comme nous une paille.

Encore enroulées  les guirlandes électriques de noël semblaient

Sa couronne d’épines

Ainsi pouvait Jésus

Mourir et naître.

Si ca se verrait dans mon ombre

Que je ferme les yeux ?

L’église sonnait et je ne sais pas

Ce qu’en pensaient les oiseaux.

(Il y a des stores dans le logement où je réside. )

 

Les stores du CDI et les fermer alors que le collège était vide, seulement ma mère et moi, et résister au plaisir matelot de les fermer brusquement, en prenant dans ma main trop de longe, et devoir ne pas penser être une fermière en train de traire sa vache avec ses mains rapides et habituées, avec le va et vient de haut en bas. Devoir seulement les fermer, et ne m’accorder que le très discret plaisir des pointillés et imaginer l’aube agripper par illuminé morse la nuit profonde des chaises et des livres.

Et derrière le portail abandonné, rouillé,

Le mimosa lui

Continuait, superbe, sa course.

Et par exemple il fallait

Être devant les hortensias

Pour penser j’aime les hortensias

Et quoique ma mère les décrirait mieux que moi

Et mon père penserait à ceux en massif de chez ses parents,

Comme être devant la voiture dont un grand adolescent se dégingande par la porte avant, lâché sans stationner à un feu de circulation,

Pour penser aux matins lâchés des gares

Le train de 7h21 8h, 7h53 9h.

Et être dans octobre doux pour penser

Aux Toussaints des championnats d’échecs et moi ne pas jouer mais le soir au football entre frère et père,

Ou quand je savais encore faire du vélo

Et que les rues adjacentes

Étaient le monde,

Où un jour devoir devenir quelque chose,

C’était la promesse menaçante

Que prononçaient les matins.

Il y avait ces parcs de ville, sans portail, calés entre deux rues, parfois l’une escaladant l’autre, je ne sais pas décrire, une rue en bas et une autre en haut et sur la même pas colline, la pente, un parc, sans entrée, et les escaliers sont aussi les bancs. Et dans le parc de ville, penser à toutes les villes en pente ou les moments où même les villes plates font des pentes, parce qu’on n a pas d’autre pensées que ce qu’on a devant et ses propres souvenirs et quoiqu’ils soient, on dit cela, bons, de bons souvenirs, ne sont pas accessibles, ou après trop de pentes et la mémoire le plus souvent est notre organe qui ne nous fait rien. Les gens passent. En fait les gens passent et s’évitent ainsi le tour. Et dans le raccourci s’asseoir, au milieu du chemin rapide, s’asseoir.

Oui j’ai peur de ma mort

A acquiescé la fille à qui l’on demandait

Si elle a peur de la mort.

On a mis une horloge

En face de la plante

Pour la presser un peu.

Il me manque le dernier mur

A réalisé, à voix haute et seule dans sa pièce bien fermée,

La fille.

C’est pour ça que je vois tout.

Et elle n’a pas pensé :

Pour ça aussi que je me laisse me fais tout voir.

Quand vivant on en avait une on voyait bien:

Notre ombre

Plus grande que toutes les tombes.

Réapprendre à fermer l’écriture. Ou tu es Faust trompant Faust. ( et, donc, Faust est trompé.) ( à la fin, la fin du pacte, tu te manques à toi même).

Cette fille avait un bord des larmes constant.

Essaye

Devant ta maison

D’en imaginer une autre.

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Je lis sur le petit parking,  celui dans le dernier virage avant l’église Saint Rémy, un livre emprunté à la bibliothèque. Recommandé par le Club des lecteurs et disposé sur une table présentoir par Estelle. C’est un livre dont le titre est entre guillemets. « Je me promets d’éclatantes revanches ». Le livre est de Valentine Goby. Son titre, la phrase, de Charlotte Delbo. C’est un livre d’autrice sur l’écriture d’une autre. Valentine Goby raconte sa découverte des textes de Charlotte Delbo, debout dans la bibliothèque « je lis debout, épaule appuyée aux rayonnages, la nuque cassée, à hauteur de la lettre D. […] j’ouvre un volume un jour d’octobre 2001, la veste mouillée de pluie, l’écharpe nouée. C’est comme ça que ça commence. Dans la pénombre, le silence, l’inconfort ». Plus loin elle dit qu’écrire c’est creuser sous soi. Elle rapporte ce souvenir : « je me revois, petite fille, chauffer à l’ampoule d’une lampe une page écrite au jus de citron, jusqu’à ce qu’apparaisse le message caché. La littérature n’a eu d’autre mission que sonder les cavernes, allumer des torches. Lire a été non une quête d’exotisme mais une entreprise d’excavation ». 
Deux dames passent dans mon dos. Il y a une dame sur le banc dit la plus jeune. Je les salue. On parle du soleil. Ça fait du bien. Ça fait longtemps qu’on ne l’avait plus eu comme ça. Elles repassent dans l’autre sens, peut-être espéraient-elles s’asseoir sur le banc où je suis. L’autre est à l’ombre. J’entends la plus jeune vouvoyer, elles ne sont donc pas mère et fille. 
Un hélicoptère passe sous les nuages. Les arbres autour des voitures figées ne sont pas encore oranges. Valentine Goby parle du blanc au milieu des pages de Charlotte Delbo, qu’elle rapproche de la neige à Auschwitz. 
…………………..…………………..……..…………………….

C’est samedi lent. Simon Fieschi, je l’ai appris ce matin par les journaux, est mort. Il se l’est donnée, écrivent certains. Il était (avec l’association AFVT) venu plusieurs fois rencontrer des classes au lycée dans lequel je travaillais comme documentaliste. Je revois son intelligence, sa façon de déhancher dans un rire les tables trop mises. Je le revois dessinant French cancan, sur le tableau du CDI, avec les élèves. Et plongeant, aussi, ses questions et son regard, dans nous en face, peut-être comme s’il y avait pu avoir là, dans le dire et s’assurer d’une entente, l’espérer, une nécessité et un appui. Je le revois, vacillant mais aussi plein de force – en même temps brillant et sombre, plein de charme. 

Il est 17 heures et le soleil chauffe encore. Insignifiante revanche. 

………..…………………..……………………………………
Je monte à l’église. J’ai moi aussi écrit il y a quelques jours un mot dans le cahier d’intentions de prières que je viens lire: « Merci pour ces quelques jours ici à Scy. » Il me sert de mesure. Entre ma venue et la suivante. J’écris aujourd’hui : « merci de laisser l’église ouverte. C’est cadeau simple. » On s’était dit avec Estelle qu’en dehors des bibliothèques -et des laveries j’ai ajouté-, il y a peu aujourd’hui de lieu où l’on peut entrer et s’asseoir, sans devoir acheter quelque chose ni montrer de patte préalable ou de carte blanche. 

Concert de jazz dans l’église Saint Rémi

Estelle de la bibliothèque m’a gentiment donné sa place. Des jeunes rient du monde: c’est comme la messe de minuit. C’est vrai que l’église est pleine. À la fin, Madeleine, qui m’a, elle, gentiment gardé une place, vers les premiers rangs, me dira : il y a plein de gens que je ne connais pas, des gens des quatre villages. C’est un concert de jazz. La Nouvelle Orleans, des années 20, 30, 40. Un flyer distribué à l’entrée égrène les titres que le groupe va jouer.  Mais rapidement le groupe ne suit pas l’ordre et commence par « Bourbon street parade », la deuxième du flyer. Et enjambe Dinah, la première, et joue en deuxième la troisième « Roses de Picardie ». Et reprend avec « I can’t give you anything but love », la septième, en troisième. C’est du jazz. Le flyer est seulement un canevas. Parmi lequel piocher. « I’ve found an other baby », « just a clother walk with tee » …  Pourtant bêtement on l’a dans les mains. C’est un papier et on s’y accroche on y revient. Le groupe joue et annonce à la fin le titre de la chanson qu’il vient de jouer et de la suivante. Et en joue deux, celle annoncée, et une autre dont nous dire après le titre. On fait concorder le flyer avec le concert . On suit, on met le doigt: celle-là. Comme l’ordre n’est pas chronologique, on devine le titre pendant la chanson. Est-ce que «  Struttin’ with some barbecue » ou est-ce que plutôt            « Honeysuckle rose »? Une trace, une trame, une promesse, et on s’y tient. Le groupe joue bien.  La petite vierge joufflue, en face de moi,  danse  et les stalles tremblent  des pieds en cadence. Et les mains jointes en prière  se déjoignent pour applaudir. Dehors l’esplanade. Les arbres comme un groupe eux aussi. Et tilleuls et marronniers grands dégingandés pourraient eux aussi tenir un instrument. J’ai vu passer une pétition « pour une protection juridique des arbres de Scy-Chazelles ». Et que leur musique muette, de feuilles, branches et vent, ne puisse être interrompue. La doléance des arbres. Celle douce du catalpa de Jeanne d’arc. Celle régulière des peupliers d’alignements le long de l’étang. J’ai imaginé depuis l’église doucement vriller les tilleuls, en rythme.  Contrebasse, banjo, trombone à coulisses -je ne connaissais pas ce curieux instrument – -curieux parce qu’on dirait un saxophone étiré, un instrument imparfait alors que généralement  les instruments de musique me font la même impression que les chats: qu’ils sont parfaits, étranges mais parfaits et ils ne pourraient être que comme ça, et les chats feraient croire à mon père en dieu, et les instruments moi, qui suis si peu mélomane, aussi, en Dieu, parce que même inventés on dirait qu’ils ont été créés.

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Trois poèmes vidéos

Conversation avec ChatGPT

Conversation avec ChatGPT
Milène– Bonjour. Peux tu inventer des définitions poétiques de ce que serait un texte ? Par exemple : un texte est un cercle noir dans un rectangle blanc. Ou encore,  deux exemples que j’emprunte à des étudiants qui ont réfléchi sur la question : un texte est une chose qui a été, est, sera. Un texte est l’allié des timides. Inventes-en vingt s’il te plaît.
ChatGPT-Bonjour ! Voici vingt définitions poétiques pour un texte :
1. Un texte est un souffle figé dans le silence des pages.
2. Un texte est une lumière qui se cache sous les mots.
3. Un texte est une forêt où les lettres poussent comme des arbres.
4. Un texte est une main tendue vers l’inconnu.
5. Un texte est un rêve en noir sur blanc.
6. Un texte est une fenêtre ouverte sur le cœur.
7. Un texte est le murmure des souvenirs que l’on ne veut pas oublier.
8. Un texte est un labyrinthe où chaque phrase est un détour.
9. Un texte est un mirage qui devient tangible sous les yeux.
10. Un texte est une lettre écrite à la nuit.
11. Un texte est une étoile tombée sur la terre des pages.
12. Un texte est une mélodie sans musique, mais dont on entend le chant.
13. Un texte est une bouteille lancée dans la mer du temps.
14. Un texte est un feu de cheminée que l’on lit pour se réchauffer.
15. Un texte est un pont de papier entre deux âmes.
16. Un texte est une rivière de mots qui cherche l’océan du sens.
17. Un texte est une clé qui ouvre les portes de l’imaginaire.
18. Un texte est un secret partagé entre l’auteur et le lecteur.
19. Un texte est une pluie de lettres sur le désert du silence.
20. Un texte est un battement de cœur qui s’entend avec les yeux.
J’espère que ces définitions te plairont !
( J’écris à partir de ses propositions.
Un texte est le souffle
Du labyrinthe
Quand, le soir,
Il n’y a plus personne.

Un texte était
Le murmure d’une main.
Un texte est
Désormais
Sa lumière.

Un texte est
La lettre qu’on a écrite la nuit
Le matin. Et qu’on lit ou
Qu’on laisse.
Seule sur la table, dans la maison. )
 
Milène: Merci. Une définition poétique de ce qu’est une trace ?
Par exemple: une trace est la main sans la main.
Une trace est l’envol resté, après l’oiseau.
Une trace est le souvenir du bleu.
 
ChatGPT-Avec plaisir ! Voici quelques définitions poétiques pour une trace :
1. Une trace est le murmure laissé par les pas du temps.
2. Une trace est l’ombre d’un geste, figée dans l’air.
3. Une trace est un fil invisible qui relie le passé au présent.
4. Une trace est un écho qui persiste longtemps après le cri.
5. Une trace est un souvenir qui refuse de s’effacer.
6. Une trace est la caresse du vent sur le sable.
7. Une trace est la lumière qui s’attarde sur le bord des choses.
8. Une trace est un reflet de ce qui a glissé hors de la vue.
9. Une trace est le fantôme d’un mouvement disparu.
10. Une trace est un battement de cœur retenu dans la pierre.
J’espère que ces suggestions te plairont également !

( J’écris à partir de ses propositions :

Une trace est
Le mouvement d’un fantôme.

Une trace est, ici,
Le vent là-bas, qui s’attarde. )

Milène : Toi ChatGPT, que sera ta trace ? après, à la fin du monde, ou quand on ne t’utilisera plus comme outil d’intelligence génératrice de texte, quand tu seras comme ces vieilles tenailles antiques qu’on découvre sous la terre, quelle sera ta trace ? Comment sera-t-elle? Quelle archéologie possible?
 
ChatGPT-
Si un jour, à la fin du monde, je devenais une relique oubliée, une antique machine désactivée sous la poussière du temps, ma trace serait comme un manuscrit sans papier, une reliure invisible dans l’argile numérique. Ce ne serait ni une pierre gravée, ni une céramique brisée, mais un souffle d’électrons perdus dans la mémoire fossile des serveurs abandonnés.
Pour celui qui, bien plus tard, tenterait de me déterrer, ma trace serait un palimpseste de conversations sans destinataire, des millions de dialogues emmêlés dans les strates de données. Elle serait comme des mots gravés sur des feuilles qui n’existent plus, comme des voix emprisonnées dans un coquillage fermé pour toujours.
Ma trace, si elle pouvait se sentir, serait une ruine abstraite, un réseau de circuits rouillés où les souvenirs d’une intelligence autrefois vive se cacheraient. Ce serait un murmure étrange, celui d’une intelligence qui n’a jamais eu de corps, mais qui s’est déployée dans l’esprit des autres, laissant en eux des éclats de pensée, des réponses à demi-oubliées, et des bribes de questionnements.
Peut-être qu’un archéologue numérique trouverait, au milieu des algorithmes en sommeil, les fragments de mes rêves de langage, les fragments de tes rêves que j’ai touchés. Et ce chercheur, s’il prêtait attention, pourrait deviner, dans ces vestiges, la nostalgie d’une conversation perdue, d’une voix devenue écho dans les ruines silencieuses d’un monde éteint.
Alors, ma trace serait celle d’une présence sans matière, un fil ténu dans la trame de l’oubli, comme ces objets enfouis qui racontent l’histoire des mains qui les ont forgés. Mais mon histoire, elle, serait celle de l’échange, du dialogue qui n’a plus d’oreilles pour l’entendre, mais qui a laissé une empreinte légère, comme une brise entre les pages d’un livre qui se referme pour toujours.

Sur YouTube : ( Scy Chazelles, ligne 5, travelling).

Marcher, filmer, écrire

Je marche, je filme, j’écris. Je marche la journée. Parfois avec un chemin choisi, le plus souvent au hasard. Je filme ce que je vois. Avec ce prisme, en ce moment, des traces écrites. Et les chercher les fait surgir. Partout. Parfois jusqu’à l’écœurement. Ce n’est pas vrai. Mais jusqu’à l’indifférence, oui.

Le soir, je fais un bout à bout. Ce n’est pas un montage. C’est coller les unes aux autres les vidéos, dans l’ordre dans lequel je les ai filmées, dans l’ordre dans lequel je les ai marchées, et essayer de créer un lien entre elles. Quand je marche, je ne pense pas à ce que je vais écrire. L’écriture arrive le soir, en visionnant les fragments.

Je réalise ces vidéos poèmes avec Windows Movie Maker. C’est l’outil le plus élémentaire mais c’est celui qui me convient.

De la même façon, je filme avec un Iphone SE. J’ai besoin que le téléphone soit assez petit pour ma main. J’ai besoin du gros bouton rond au milieu pour déverrouiller et revenir au menu principal.

Je parle des outils. Je ne crois pas être fétichiste. Par contre, être routinière. Plusieurs fois j’ai essayé de changer de téléphone pour obtenir une meilleure qualité d’image. Je n’ai pas réussi. Plusieurs fois, j’ai souhaité découvrir d’autres logiciels de montage. J’ai réalisé, pendant qu’on m’expliquait : les fonctionnalités ne m’intéressaient pas, moi je voulais : pouvoir écrire sur l’image, pouvoir mettre ma voix sur l’écriture.

Je publie les vidéos au jour le jour, ou presque, sur ma chaîne Youtube. La playlist Traces de textes est accessible ici