Un noiso. Les zoizo. 

Elle a dit la poésie ça fait du bien ça me calme.

Il a dit lire ça apprend à savoir lire.

Il a dit parfois il y a des histoires très tristes.

Et un peu plus tard il a dit : parfois les histoires commencent tristes et finissent drôles.

Il a dit quand on a besoin d’écrire on écrit.

Elle a demandé : est-ce qu’on peut écrire des cœurs ?

Elle a demandé est-ce qu’on peut écrire des erreurs ?

Merci énormément à Karine, leur maîtresse. ( Parfois moi aussi, ils m’appelaient maîtresse. )

Mateo a dessiné un arbre, une bulle avec dedans des notes de musique. Un arbre qui chante. Un arbre qui est lui même l’oiseau.
Kaweilanne a dessiné un arc-en-ciel et un soleil dans le coin. Elle m’a dit : c’est mon père qui m’a appris à dessiner les soleils dans les coins.
Malik a dessiné beaucoup de montagnes mais une au milieu beaucoup plus grande. Et il a écrit Quand je suis grand je monterai l’Everest ( quand j’aurai 1718 ans).
Sur le dessin de Malik il y a aussi un bonhomme qui tire la langue. Comme si la langue tirée était l’envie d’un poème. Et sur la langue tirée il y a une petite montagne. Comme si chaque poème était un petit Everest.
Annaëlle a dessiné une table grise avec un beau coeur rouge dessus. Comme s’il fallait toujours une table sous nos cœurs.
Elle a écrit : des petits poissons nagent dans la mer. Un cerf est dans la neige. Et la page d’à côté elle a écrit: « écrire nège et la mèr. »
Sur la dernière page, elle a dessiné un arbre avec plein d’oiseaux autour. Comme si les oiseaux étaient les fruits de l’arbre.
Lenny a dessiné une table et à côté de la table un arbre avec des feuilles en papier de poème plutôt que des feuilles-feuilles. Il a aussi dessiné une pomme avec un visage. « Une pomme vivante » il m’a dit. Un peu avant, je leur avais demandé quel autre mot on pouvait entendre dans le mot poème. Et l’un d’eux avait dit : pomme.
Marceau a dessiné une table bariolée. Et à côté de la table deux pots. L’un avec une fleur vide, toute grise. Et l’autre, une fleur toute fleurie.
Félix a dessiné une table marron. La chaise ressemble à un arbre assis, c’est une chaise avec en haut des branches. Un garçon est assis dessus. Sur la table il y a un chat. Ou peut-être est-ce un lapin. Sur une autre page Félix a dessiné un garçon avec un visage, des mains et des pieds en forme d’horloge. Et des cactus tournoyants avec des glands au bout. Il y a aussi au sol des horloges avec des racines. Joud a écrit quatre fois son prénom. Sur chaque page de son livret. Joud a fait un sablier avec en haut quatre personnes et en bas plus que deux. Joud a aussi fait un arc-en-ciel avec deux fenêtres dedans, comme deux yeux.
Elsa a dessiné une table et deux chaises autour. C’est alors une table en même temps pour écrire et pour discuter. Sur la table il y a des petites étoiles qui ressemblent à des hiéroglyphes. La table d’Elsa me fait penser à la pierre de rosette. Sur une autre page, Elsa a fait une fille avec un grand visage mais sans le visage dedans, sans les yeux le nez la bouche. Mais derrière ses pieds il y a la trace de ses pas.

Souhail a écrit « écrire chez moi ».  J’ai pensé aux chambres à soi…
Manel a écrit La table du poème et dessous a dessiné la tour d’un château immense avec un tout petit pont levis. Et une colonne de cœurs le long du donjon. J’ai pensé devant le dessin qu’un poème est un immense château avec entrée de souris.
Seyfedine a écrit « ojordui il ple demin il fera bo ap demin il fera bien la noi il era des stoiles sébien la vi ». Je suis émue. « Ojordhui ». Ce pourrait être un titre. La noi. Pour la nuit et le noir en même temps. Les étoiles qui sont déjà les stars anglaises.
Kazena a écrit « la cemaine je vaivoir une statu ». C’est parfait, je le lui ai dit : c’est un parfait poème.  La semaine je vais voir une statue.
Anissa a dessiné une table qui est aussi un petit champ de marguerites. La chaise ressemble à une plus grande marguerite. Elle a écrit « L’espac est les zétoil qui bri otour de noue est le soulêi qui noue réchoffe est floté quansi on volê. Les montagn si gran est les zoizo qui chant. La nature est boe. ». L’espace c’est les étoiles qui brillent autour de nous et le soleil qui nous réchauffe et flotter comme si on volait. Les montagnes sont grandes et les oiseaux chantent. La nature est belle. Le comme si qui devient quand si. C’est exactement ça: la comparaison devient quand. Et boe est assez pour être belle et le féminin de beau.
Adam a dessiné une maison. Dans la maison il a écrit son prénom Adam et quelques autres prénoms de personnes de sa classe. Il a aussi écrit Mal mots poèmes . Derrière il a écrit : la table du poème se transforme en méson du M. »
Néo a dessiné une table avec un coin un peu tordu parmi les quatre. Un peu avant il m’avait dit avoir lu en classe un livre sur un chat à trois pattes. Dans le coin un peu tordu de la table, il y a un arc-en-ciel. Le reste de la table est blanc. Il a dessiné une flèche qui désigne l’arc-en-ciel-coin-de-table et il a écrit « tou le pasé ». Il a aussi écrit « un enfens grans ». Un enfant grand.
Yara a écrit « la table quich » et le titre s’arrête là. Mais plus bas elle a dessiné une table toute en couleurs. Et sur la table elle a écrit : je suis une table qui chante.
Maël n’a pas dessiné. Il a écrit un poème qu’il a inventé, au milieu de sa page : « écrire dés mot.
écrire dès frases.
écrire un poéme. »
Derrière, Mael a écrit un deuxième poème qu’il a inventé : « e secesé un mirour ou un chien. » Est-ce que c’est un miroir ou un chien?
Shanna a dessiné une table avec trois pieds droits et un quatrième qui penche un peu sur le côté, comme s’il voulait aller danser. Sur sa table elle a mis des nuages.  Autour, des cœurs. Et en dessous elle a écrit: « j’ai me est crire ».

Traces de textes 1 Ce qui est, a été, et sera

Atelier à la fac

L’une a dit écrire souvent. Des poèmes. Avoir participé, même, à des concours. Au Luxembourg. Des concours de printemps. Et, certains, les avoir remportés.

L’une a dit écrire des histoires. Aimer imaginer. Ne pas les partager.

L’un a dit écrire des textes sur des livres. Résumer un livre pour pouvoir s’en souvenir, après.

L’un a dit qu’un texte c’est quelque chose qui est, a été, sera.

L’une, qu’un texte c’est une forme sur un espace.

Il y avait dans la BU, sur une table haute, un échiquier. J’ai pensé, à cause des deux tabourets hauts, au far west. Ouvrir les saloons et se hisser sur un tabouret, avec encore les pistolets contre la cuisse et le pantalon raide. Six joueurs se sont relayés l’après midi. Trois parties. Ensuite, l’échiquier était calme. J’ai pensé devant les deux parties rangées et face à face à ce qu’écrit Bernard Marie Koltes. « Un dialogue, c’est deux monologues qui cherchent à cohabiter ».

Merci à Carole qui a tout organisé. Merci à Audrey, leur professeur.

Je marche.

Je marche.

J’ai besoin de faire des tours. De descendre et monter.

Comme, peut-être, les chats.

En même temps, je suis routinière. J’ai besoin que les jours se ressemblent.

Il y a la ligne toute droite pour aller de Scy-Chazelles à Metz, avec les minuscules nuances de choix possibles mais sinon: la ligne. Elle me convient. Elle me rassure. Je sais que le long il y a : le manoir à vendre et les pizzas à emporter; la fin de l’autoroute, plusieurs kebabs, des laveries et des coiffeurs, l’arrêt Verdun et l’arrêt liberté, une boulangerie que j’ai pour l’instant toujours vue fermée…

J’avais demandé, avant de partir en résidence, à ma mère, quelle archive, elle m’aurait, elle, confiée, si elle était tombée sur mon appel à traces. Elle m’a dit : « mon diplôme du capes. L’en tête de l’entreprise de mon grand père en Algérie. L’arrête de ma pension de retraite, ma troisième vie ». J’ai été étonnée qu’il n’y ait rien sur son mariage et ses enfants. Peut-être ces trois documents étaient-ils : vraiment elle, toute seule. Sans nous. Si elle avait dû, pour le travail d’une écrivaine, choisir. C’était ce qu’avait écrit, j’ai lu, une étudiante : rencontre avec l’écrivaine Milène Tournier. C’est toujours quelque chose, je crois, lire ça: l’écrivaine. Comme se retrouver baptisée.

Il y a le soir cette diagonale de la chambre jusqu’aux toilettes. Le détecteur de fumée qui détecte aussi la présence, alors qui s’allume discrètement, le temps du hall. Et j’ai l’impression d’être un feu de passage, pas inquiétant, mais qu’on note et, même, on l’accompagne.

J’écris pour l’instant avec les traces du présent, des environs. Mon projet n’est pas complètement défini. J’imagine quelque chose qui mêlerait : les traces des villes: panneaux, livres d’or, publicités…  ; les traces orales : des textes sans textes, des textes encore dans les bouches, avant les mains, et que je capterais  ; des textes sur des archives : les miennes, celles confiées par des personnes ; et un texte un peu plus long sur ce que c’est un texte. La forme précise ne m’occupe pas encore trop. Pour l’instant, je ne veux que marcher, filmer, photographier, un peu écrire. Parfois je m’oblige à m’asseoir pour écrire et lire. J’écris peu. Je marche. Je ne rentre que le soir. Il tombe vite. Hier, j’ai effrayé une dame, on se croisait dans le lotissement, elle a sursauté en me voyant. Je me suis excusée. Pardon je vous ai fait peur. Elle a dit : c’est qu’il fait noir. Elle a dû me prendre pour un homme, j’ai pensé un peu bêtement – pourquoi en tant que femme je n’aurais pas pu lui faire peur ?

La voyageuse immobile

La gare de Metz, au-delà de son architecture impressionnante et unique en France que l’adolescente que je fus,  qualifiait de moche, offre à l’intérieur les mêmes services et agencements que n’importe quelle gare de France. On pourrait être n’importe où.

Fin des années 70, la gare de Metz et son buffet furent mon refuge quand certaines nuits je faisais le mur, expression qui ne correspondait pas à la réalité car il suffisait de passer discrètement le portail pour échapper à l’internat. Les copines me couvraient, répondant présente à l’appel du soir et en entassant quelques vêtements sous le drap pour masquer mon absence.

De mon côté je marchais dans la ville sans objectif précis et finissais vers minuit à une des tables du buffet de la gare, pas regardant sur la tenue ou l’âge. Pour le prix d’un expresso, je pouvais traverser tranquillement la nuit. Le buffet était alors une immense salle haute du plafond et solidement enfumée. Mégots écrasés au sol. Se retrouvaient là quelques clodos pas trop avinés, des voyageurs et voyageuses en attente du prochain train, des jeunes appelés en civil reconnaissables à leurs cheveux coupés ras et quelques solitaires sans toit dont moi. Vers la baie vitrée, les tables se recouvraient de nappes blanches et on pouvait y manger.

On fumait, on attendait, gens du peuple et bourgeois contraints à cette proximité sociale. Les journaux se lisait grand ouverts sur la table. Un des serveurs m’offraient, certains soirs, un deuxième expresso – je n’avais que 16 ans.

Devant moi un carnet où je notais des bouts de phrases et quelques naïfs espoirs de voir le monde changer :  Plus égalitaire, plus créatif, plus collectif – retour à la terre. La Dame pipi rendait l’accès aux toilettes moins angoissantes.

Parfois quelqu’un venait me parler par désœuvrement, par envie de me séduire ou pour partager un peu de son angoisse nocturne. Je répondais volontiers sauf aux hommes aux propos trop salaces.

Souvent j’inventais une histoire me concernant et celle qui revenait le plus souvent, faisait de moi la parolière de Bernard Lavilliers. Mes interlocuteurs semblaient y croire. Je m’exprimais bien et puisais de l’assurance dans le souvenir d’un moment partagé dans la loge du chanteur aux épaules larges et à la voix puissante. Lui aussi aimait le buffet de la gare de Metz et réinventait son passé à l’aune de ses chansons. Je connaissais par cœur les paroles de Fensch vallée :

Viens, petite sœur au blanc manteau
Viens, c’est la ballade des copeaux
Viens, petite girl in red blue jean
Viens, c’est la descente au fond de la mine …

Quand derrière les vitres de la gare, le jour annonçait l’heure, je reprenais le chemin du lycée, la bouche envahit par l’amertume sèche du trop de tabac fumé. Toute la journée il me fallait lutter contre le sommeil et espérer qu’aucun prof n’exigerait ma présence au tableau. Je restais mystérieuse quant à ces virées nocturnes, ne parvenant pas à expliquer mon besoin de dériver seule dans les espaces publiques, de tester ma tolérance à la solitude, essayant maladroitement de nommer le monde qui m’entourait. 

Ici et ailleurs

Du soleil derrière de la vitre, enfin !  Aussitôt j’enfile pantalon et chaussures de marche, parka et sac à dos. Ce dernier contient l’appareil photo, une thermos de maté, le carnet d’écriture et quelques fruits secs.

J’ai repéré une boucle pas très loin du gîte, au mont St-Quentin, col de Lessy, une boucle de trois à quatre heures de marche.

Un groupe à qui je demande une précision, propose de me joindre à eux. C’est sympa mais je n’aime guère marcher à plusieurs. Je supporte mal le bavardage quand je randonne. J’ai besoin de silence pour me concentrer sur le paysage et ce qui se met en mouvement à l’intérieur de moi. J’aime également prendre des chemins de traverse et m’arrêter pour photographier quand bon me semble.

J’emprunte d’abord une route dite de guerre jusqu’au plateau du fort de Plappeville puis sur les hauteurs de Châtel Saint-Germain, je profite d’une vue superbe sur les méandres de la Moselle.

Le soleil et les nuages se partagent le ciel, le vent agite les arbres et la boue colle à mes semelles.
Je suis merveilleusement bien. Quand je marche, je me sens délicieusement vivante.

Le chemin coupe à travers champs, longe une vieille ferme, puis rejoint une voie verte. Quelques bonjour donnés à des cyclistes, marcheurs et runners (courir n’est plus à la mode alors on run).  Puis je prends de la hauteur avec un chemin dit noir qui traverse jardins, vergers et rejoint la forêt. J’avance et dans ma tête, le tourbillon des pensées s’apaise.

Marcher ce dimanche matin, sur les hauteurs de Scy-Chazelles m’entraine vers un territoire de la Moselle que je ne connaissais pas. Mes parents ne sortaient guère et j’ai comme seul souvenir un pique-nique sur un des crassiers d’Amnéville qui était, malgré le nom, une colline couverte d’herbes et d’arbres. Nous n’avions pas de voiture.

Quand je remonte dans mon fourgon, chaussures crottées et joues rouges, je peux à ce moment-là dire :

C’est beau !

Phrase rarement dite quand, adolescente, je vivais encore dans le pays d’ici.

Vivre ici

D’abord Knutange pour l’étonnant bar-restaurant Remotel (une histoire familiale de 70 ans qui cherche d’ailleurs repreneur) où l’on peut s’étonner devant une  impressionnante collection de mignonettes. 

Dans une salle à côté du bar, expose Fillibert, un ancien chaudronnier qui donne vie aux rebuts des coulées, les loups de fonte et aux objets métalliques glanés dans les usines désaffectées. De quoi nourrir ma curiosité. Au retour je m’arrête à  Hayange, tout est là de l’histoire ouvrière. La ville est cernée par les voies rapides et les vestiges de la sidérurgie. Il fait soleil et c’est tant mieux, je ne veux pas ternir le paysage mais le questionner. Alors je marche dans la ville où de nombreux commerces fermés présentent leurs vitrines muettes. Grâce à ma vie nomade j’ai souvent vu, dans toute la France, des communes au centre-ville agonisant.

Le bruit des voitures se fait entendre de partout, pourtant ce n’est pas l’heure de pointe. Qui habite là ? J’allais ajouter : encore là ? Ne pas commenter trop vite.

Il faudrait avoir le temps de rencontrer une personne qui puisse expliquer, contextualiser le vivre ici. Je sais que le maire de la commune est un ancien ouvrier, ex-militant CGT, et actuellement membre du Rassemblement National. Parcours pas si banal que cela. Je marche, je photographie et le soleil offre de puissants contrastes à la forêt environnante.

Traverser Hayange c’est retrouver les sensations de mon enfance quand le paysage amnévillois était fait de la masse imposante des usines.

Dans la région, certaines communes ont su s’inventer de nouvelles dynamiques, d’autres ne se remettent pas de la violente fin de l’industrie. Je marche dans Hayange et ne sais quoi en penser, puis rejoignant mon fourgon garé dans une ancienne cité ouvrière, maisons toutes construites à l’identique, je découvre un très vieux et petit cimetière israélite coincé entre le pont de chemin de fer et une voie rapide. Le portail est fermé, pas de visite possible. Dommage, le lieu intrigue par son ancienneté, 1866, et son enclavement.

Oui il faudrait rencontrer quelqu’un qui raconte la vie d’ici.

Prendre des clichés

J’aime prendre des photos. Je les recadre sans trop les retoucher ensuite. Prendre des photos m’aide à  mieux voir car souvent je marche vite, trop vite. L’énergie du pied devant l’autre m’empêche de m’arrêter sauf quand la fatigue est là.

Pourtant pour photographier, il faut bien faire une pause. Prendre un cliché. Cliché un terme dont j’apprécie les différents sens, celui très technique de la photographie ou plus littéraire dans le sens de lieu commun. Cette dernière expression peut paraitre  péjorative mais le commun d’un lieu n’est-ce pas celui qui nous rassemble ? Nous tient ensemble ?

Alors une photo de Metz que nous avons été sûrement des milliers à prendre, parce que s’y manifeste quelque chose de l’ordre du beau. Cadrer les couleurs du présent – Arrêt sur image – Et comme le dit si bien Baudelaire : La forme d’une ville change, hélas, plus vite que le cœur d’un mortel

Aujourd’hui il pleut, je reste au gîte de Scy-Chazelles pour écrire, barbouiller sur mes innombrables carnets, hésiter devant un dossier administratif anxiogène, tenter un cliché à travers la porte-fenêtre du salon où les chaises de jardin, retournées sur la table mouillée, attendent les beaux jours.

Déjà la nuit prend possession des lieux

Changement d’heure qui me rend toujours un peu mélancolique.

Bientôt le mois de novembre.

Bientôt les jours plus courts

Bientôt se lever quand il fait encore nuit.

Humeur monochrome.

J’écoute Johnny Cash, sa voix défaite me va bien.

Heure d’hiver.

Marcher

Il y a ici, à la résidence, un vélo électrique qui dépanne bien quand la distance à parcourir est longue, mais c’est marcher qui me convient le mieux. Moins d’encombrement.

Sac à dos, bouteille d’eau, appareil photo, cahier, stylo et parfois un morceau de tarte au fromage ou de tarte à la rhubarbe, mes deux gâteaux préférés et spécialités locales.

Je marche le long de la Moselle, dans les vieux quartiers de Metz, vers les étangs d’Argancy, ici ou là sur les traces des friches industrielles et bien sûr dans les rues d’Amnéville. Je prends grand plaisir à saisir la joyeuse audace des façades tout en choix couleurs. Je quitte définitivement le noir et blanc du passé.

Un bel et long article dans les pages Culture du Républicain Lorrain m’offre une certaine notoriété dans la ville de mon enfance. On me reconnait, on me salue, on me paie un verre au PMU ou au Capri, deux cafés tenus par des femmes. La petite Fabienne est ravie car avant de quitter la ville, elle n’avait pas forcément bonne réputation. Fin des années 70, une fille qui fume des sans filtre, qui chausse des rangers  et exhibe le mot Anarchie sur sa besace de lycéenne, cela dérangeait pas mal d’adultes.

La femme que je suis, traverse la  ville avec un agréable sentiment de paix, mes tenues sont plus classiques et j’ai appris à déployer le mot anarchie qui me semble toujours une belle perspective du vivre ensemble si on lui redonne son sens premier : une société sans hiérarchie.

Je prends en photos les façades, le pentu des toits si spécifique à la région et cherche des adjectifs pour décrire de manière précise le choix de la couleur  :  vert lichen, vert sauge, céladon …? En tout cas, pour quelques jours encore, le ciel restera bleu.

Transmettre, université de Metz

M’asseoir sur la table n’a rien de cool, étant grande les chaises me donnent toujours le sentiment d’être avachie. Pourquoi ne pense-t-on jamais à installer un tabouret qui permet de se reposer tout en gardant une posture dynamique ? Entendre leur voix, partager leur regard sur les lieux du vivre ici, l’Université – Entrer en résonance avec leur imaginaire, leur savoir, leurs tâtonnements a quelque chose de précieux pour mon propre travail. Grâce à leur professeur Carole Bisenius-Penin, la pratique de l’atelier d’écriture ne leur est pas étrangère.

Quel chemin parcouru depuis les années 80 où des pontes de la littérature s’exclamaient  : Écrire ne s’apprend pas ! Et j’ai toujours eu comme réponse triviale : Mon cul, oui ! Depuis la littérature se partage, s’expérimente, permet de penser et n’a pas toujours à se figer dans un livre. Des années d’obstination avec Élisabeth Bing, Alain André, la bande de l’Oulipo et surtout François Bon à mener des ateliers et le faire savoir. Bien sûr le business a pris le dessus et certains des pontes s’y mettent (sans grande créativité, d’aillleurs. En tout cas nous nous sommes battu.es pour que l’écriture s’expérimente partout et surtout pas n’importe comment et détacher, enfin, le travail des artistes du mot inspiration. Ce souffle presque magique qui laisserait croire que l’artiste est en relation avec une quelconque divinité. Le seul mot commun à tous les artistes est le mot travail car pour écrire, peindre, photographier, créer de la musique, sculpter, filmer … il faut si coller tous les jours, avec plus ou moins de bonheur. Chaque artiste a sa propre discipline mais la création ne se fait pas sans obstination. Parmi tous les passeurs de la littérature que je connais, ceux et celles qui vont dans les écoles, les bibliothèques, les prisons, les hôpitaux, les centres sociaux, nombre entre eux souvent issu.es d’un milieu populaire. Elles et ils n’ont pas oublié, qu’un jour, un livre, des livres leur ont élargi l’horizon, donné une ossature à leur imaginaire, offert d’autres possibles à leur destinée.

C7

S’habiller en tenue d’infirmière et enfiler ses sabots.

6 heures. S’habiller en tenue d’infirmière et enfiler ses sabots. Vérifier stylos, ciseaux, prendre stéthoscope, sparadrap, pince à clamper, pense-bête, garrot. S’attacher les cheveux. Marcher en pensant à la fin du service, à ce qu’on fera le soir si on n’est pas trop épuisée. Se laver les mains. Piétiner pour préparer son chariot, se courber sans prendre soin de plier les jambes. Se laver les mains. Faire le plein de tubulures, aiguilles, seringues, médicaments, mais aussi draps, alèses, haricots, bassins… Porter le tout dans ses bras car le chariot a encore disparu. Jurer de se plaindre sachant que c’est en vain. Sentir ses pieds chauffer sur les semelles dures. Le pied lâche, se tord. Ne pas tomber, pas le temps. Se laver les mains.
Réveiller brutalement les patients. Etre désolée, mais pas le temps de faire autrement. Faire dix prises de sang en priant pour ne pas se piquer avec une aiguille souillée. Se raconter, entre collègues, l’extérieur, n’importe quoi mais l’extérieur. Se laver les mains.
Préparer les perfusions debout. Se laver les mains. Ouvrir les bouteilles d’antibiotiques et d’antalgiques avec les ciseaux car les laboratoires n’ont pas pensé que quelqu’un devait les ouvrir avant de les injecter. Se blesser. Se soigner. Et enchaîner car pas le temps. Se laver les mains. Laver le corps d’un autre, homme ou femme. Se pencher, soulever les jambes. Le dos tire. Pas le temps. Se laver les mains.
Faire le lit au carré, seule ou avec l’aide-soignante. Soulever le matelas. Le dos craque. Les jambes courent, trois sonnettes en même temps. Aller au plus urgent. Une patiente âgée est tombée dans la douche. Se pencher, soulever, glisser, tomber, un autre bleu, appeler à l’aide, se débrouiller car personne n’est disponible. Ramener la patiente dans son lit, hisser le corps pour mettre la tête sur l’oreiller. Rassurer, il n’y a pas de mal. S’asseoir, lui prendre la main, et rire ensemble. Se laver les mains.

Préparer la morphine. Se laver les mains. Injecter. Remonter le patient dans son lit, remettre l’oreiller. Cavaler à l’autre bout du service pour répondre à une autre sonnette, en faisant un détour par les toilettes. Se faire engueuler parce que ça ne va pas. Rassurer, essayer de trouver une solution. Se faire insulter. Gueuler. Se demander pourquoi on fait ce métier. Sortir de la chambre en se cognant au lit, un bleu. S’arrêter dans le couloir, et souffler. Fatigue, Pleurer silencieusement. Se laver les mains. Pousser son chariot. Changer les poubelles. Marcher. Se laver les mains. Courir après l’interne pour réclamer les prescriptions promises. Accueillir le patient du bloc encore groggy. Faire le changement de lit. Un, deux et trois. Glisser, porter le corps, sans faire mal, avec le drap. Monter les barrières du lit et comme toujours, se pincer les doigts dedans. Dire qu’on est là, que l’opération s’est bien passée, qu’on repassera le voir, mettre dans sa main la sonnette. Sortir de la chambre, rassurée. Le dos cherche un appui dans le couloir, les jambes rêvent d’être en l’air, les pieds réclament des chaussons mous.
8 h 30. L’odeur du café. Les petits déjeuners vont être servis. Se demander ce qu’on pourrait faire d’autre comme métier et se rappeler ces moments privilégiés : soulager une douleur, cicatriser une plaie, essuyer des larmes, ce sont des moments privilégiés, toutes classes sociales confondues, parce qu’on se retrouve humain face à la maladie. Rire comme des gosses entre soignants car c’est l’arme la plus efficace contre l’injustice, penser que la souffrance est intolérable et qu’on sera là demain pour repousser la mort et ses copines même si, parfois, c’est se battre contre des moulins à vent. Se laver les mains, se recoiffer. Pousser la porte de la chambre 407 qui n’a jamais de visite car on a promis d’aller papoter un peu. Le café attendra la fin du service et la relève.

Texte écrit par une infirmière et publié dans le journal Libération (1998)

Le Pont Rouge, Metz

Il est toujours là. Pas loin de l’hôpital des armées, Legouest. Façade délabrée. Cela n’a jamais été un bel endroit, nous le fréquentions pour sa proximité du lycée et sa capacité à nous accueillir, bande de filles et de garçons bruyants, fauchés et terriblement vivants.

On n’y buvait rarement de l’alcool, c’était le bar des intercours. Un café pour deux quand l’argent de poche manquait. Le baby-foot et le flipper où nous accédions parfois, nous les filles, occupaient le temps. On enfumait la salle avec nos Gauloises, Gitanes, Boule d’or, Bastos. La musique du juke-box était une présence faite des Rolling-Stone, Joan Baez,Ten years after… seule mon amie Corinne, celle avec qui je ferai la route plus tard, osait mettre un tube de Claude François. La musique disco était notre impensable, Corinne s’en foutait. Au  comptoir s’arrimaient les alcoolos. Des vieux qui ne nous intéressaient pas. Certains jours, le serveur nous viraient quand notre présence était trop bruyante et que depuis une heure nous n’avions rien commandé. Puis il fallait bien retourner en cours, parfois je partais dans l’autre sens, vers le quai des Régate où pouvait s’exprimer ma part romantique. J’attendais quelqu’un.

Balle