Obsession usine

Obsession usine était  le titre d’une rubrique de mon site, elle correspondait à mon besoin de photographier et d’archiver des clichés de  bâtiments, infrastructures liées à l’industrie en France.  Alors forcément, j’ai visité avec beaucoup de curiosité et d’émotion le parc du haut-fourneau U4 d’Uckange, soulagée que les traces d’une activité concernant tant d’hommes, tant de familles dans cette partie de la Moselle, resteront. Les usines, les cheminées, les haut-fourneaux ont imprimé mon enfance.

L’U4 me tient particulièrement à cœur car quelques jours avant sa fermeture définitive en 1991, j’ai pu le visiter avec une amie. Des gars, rencontrés dans le bar de ma sœur (j’en parlerai dans une prochaine chronique) nous ont permis d’entrer dans l’usine pour assister à une des dernières coulées. Nous étions venues à la nuit tombée, intimidées, curieuses, impressionnées – et nous avions passé outre l’interdiction. Les gars étaient heureux de notre présence, un peu fanfarons et fières de montrer leur savoir-faire. Tristes aussi de la fin imminente même s’ils ne niaient pas la difficulté du boulot, la fatigue physique et le rythme éprouvant des 3×8. Quand la coulée a commencé, la chaleur, le mélange de lumière et d’obscurité, les tenues faites de long manteau et d’une coiffe de protection nous avons été saisies par l’émotion. Nous étions témoins de ce qui restaient un mystère pour ceux qui ne voyaient les usines, les industries que du dehors.
Garder la mémoire de ces lieux est essentiel, sans chercher à édulcorer le labeur et les luttes sociales.
Mon grand-père, mon père, mes frères, mes copains d’alors … nombreux ont été ceux qui ont travaillé dans ces usines. Nombreux sont ceux qui ont été  abimés par la crise qui a débuté dans les années 70. L’avenir sombre et le passé effacé des mémoires. Et pour les anciens, il doit être important de pouvoir emmener leurs proches sur les traces de leur passé, mais ça il faudrait leur demander.

Retrouvailles

Vers douze ans, avec mon plus jeune frère, nous avions relié Amnéville et Gravelotte en vélo, lui sur un demi course, moi un mini – vélo.

A l’époque, enfourcher un vélo dit de garçon, ne se faisait pas pour une fille et tant pis pour le double effort ! Je nous vois encore pédaler comme des dératés, puis visiter l’ancien musée (certainement le premier musée que je visitais de ma vie) dédié aux batailles de 1870 et à l’annexion de l’Alsace et la Lorraine à l’Empire allemand (ça se sont les mots d’aujourd’hui car en 1972, pour mon frère et moi, nous visitions un musée sur la guerre connu pour sa collection de soldates de plomb mis en scène sur une carte en relier. Ce moment est resté gravé en moi et s’invite d’ailleurs dans le roman en cours.
Il est facile d’imaginer mon émotion à être accueillie, ainsi, dans le nouveau musée à l’occasion de l’ouverture de ma résidence, de donner à entendre aux personnes invitées  quelques passages de mes livres où la Moselle, la vallée de la Fensch, la sidérurgie  s’invitent régulièrement.
J’ai échangé ensuite  avec ceux et celles qui donnent forme et fluidité à ma résidence, une équipe que je prendrai le temps de nommer et remercier dans un autre post. En tout cas leur enthousiasme et leur engagement pour la Culture renforcent mon plaisir à être là.
Sur la photo d’Anthony  Picoré, on peut voir derrière les vitres du musée, l’avant de mon fourgon qui est ma maison depuis plus de quatorze mois. Fourgon que j’ai baptisé Mon Chéri car il est joyeux de pouvoir dire : Mon chéri m’attend sur le parking.
Ce soir-là, au musée de Gravelotte, la petite fille que j’ai été, dit à la dame que je suis devenue : t’as vu, on s’en sort pas trop mal pour des  filles d’ouvrier !

Devant le portail

Dans années 70, le portail du lycée était toujours ouvert.

A l’accueil, un ou une pionne levait parfois les yeux de son livre (de nos jours ce serait un portable) pour surveiller les allées et venues des élèves.
Le mercredi les internes déposaient dans une boite leur carte de sortie, j’en étais.
Être interne m’a permis d’échapper au déterminisme de mes origines sociales.
Je me voulais ailleurs, dans une ville dite grande, avec une destinée digne d’un roman.
J’écrivais des poèmes dans un carnet jaune que je possède encore.
Au lycée j’aurais appris la militance, la poésie, la nécessité de l’amitié et la puissance de mon désir de partir, ce que je ferai d’ailleurs en terminal.
J’aurais appris aussi les bases de la gestion et du commerce, ce qui me servira plus tard, bien plus que je ne l’imaginais à l’époque.
De cette période j’ai laissé des traces dans mes livres.
Aujourd’hui le portail est clos : il faut sonner, décliner son identité à l’interphone, signer le registre des entrées et, je suppose, demander une autorisation préalable.
Depuis les années 70, il  y a eu de terribles attentats en France et dans le monde.
il y a eu la mise en place du plan Vigipirate.
Il y a eu un durcissement de la surveillance policière.
Il y a eu l’épidémie de la Covid et l’incroyable du confinement.
Il y a eu le pass sanitaire.
Et il y a la peur.
Sur les pelouses du Lycée Robert Schuman nous inventions un futur plus égalitaire, plus humaniste, plus joyeux. Sur mon sac en toile sac acheté au surplus américain, était dessiné le sigle Peace and love.
Le sac a fini à la poubelle.
J’ai vieilli.
Le monde a rétréci.
L’entrée du lycée est sous la surveillance d’une caméra.

SE POSER

Arriver. Se poser. Créer son espace à soi dans le gîte : la table de travail. 

Poser les carnets, les livres, l’ordinateur, l’appareil photo, les feutres, les aquarelles
– certains diraient : le bordel.

Se poser.

Deux mois c’est long.
Deux mois c’est court. Tant de choses à faire. Tout ne pourra se faire.
Cartographie du souvenir, l’intitulé de la résidence.
Retrouver des lieux. Ceux de l’enfance. Ceux de l’adolescence.
Confronter ce que la mémoire a gardé, interprété, modifié à
ce qui est là, maintenant.
Le passé, le présent, le dépassé.
La vie est profondément brève.
Écrire pour arrêter, un peu, l’œuvre du temps.
Octobre 2023, les températures sont estivales. Changement climatique.
On est heureux du soleil qu’il fait.
On sait que ce n’est pas bon signe.
On sait.
On vit.
Maintenant.

Journal /24 / 10 décembre 2022 

Je rentre chez moi, à Bordeaux, avec / cette réconfortante perspective de / revenir en Loraine, à Metz, à / Scy-Chazelles / en avril pour / Le / livre à Metz, littérature et journalisme / ; étant peu qualifié pour les effusions et / les adieux, vous dire au revoir me / va très bien : au revoir et / merci ; remerciement réitérés à toutes celles, tous / ceux qui ont permis / à cette résidence d’ / exister /, d’en faire un véritable / labo, un lieu d’échange / vivifiant et, ce qui n’est pas / rien : un temps chaleureux ; remerciements aussi, ici, à Eric / Rebmeister pour / son tac-au-tac illustratif sur mes / billets, « 616 ~ dents d’oiseaux glène polyamide sac », et mes impossibles / photos.

Journal /22 / 03 décembre 2022 

Je rentre du marché, longeant la Moselle je / me sens observé par les cygnes et par / tout un cortège invisible : / perches, sandres, silures, carpes, / carrassins , grémilles, brêmes (commune et / bordelière), gardons, ablettes, rotengles, / brochets, gobies ; sur la / berge l’ami héron de Julia / Korbik, me laisse rouler sans / ciller à quelques /centimètres de lui / ; « 607 ~ plus bas des oies s’édentent / ce que pendant lui rinvestit dans le / charter », des oies sauvages donc me / mangeraient presque / dans la main , un essaim de / mésanges semble me suivre d’arbre en / arbre / relayé rue des buissons par / un écureuil ; une semaine encore et je les invite / à dîner.

Journal /21 / 1 décembre 2022 

Je sors d’une visite au centre / Emmaüs de Peltre ; avec, / en tête, beaucoup de / chiffres, flux, histoires, / des circuits de recyclage / de réinsertion ; / objets, / humains, / rebuts, / les parallélismes sont terrifiants ; quelle sont les mailles /, les critères de / sélection ? quels sont les choix laissés aux / derniers récipiendaires de la casse / sociale, / environnementale, / psychique ? / les causes  ne sont-elles pas évidentes, / et connues ? / « 608 ~ eux scriminalisent d’appétentes parts de marché se gravent » ; il y a des postes d’observation / particulièrement éclairants / pour / jauger l’adéquation d’une société à / ses mythes fondateurs / ; centres de rétention / administratifs ; prisons ; déchetteries, / abattoirs, zones Seveso… / ; il n’est pas rare que ces différentes activités soient / reléguées / ensemble, dans un même espace d’/ occultation ; ce sont des lieux qu’/ un Orphée contemporain ne peut / éviter, qu’il traverse nécessairement, de / même qu’il ne saurait ignorer la / langue qui les constitue / ; car son chant / sans avoir consenti à / la plus aigüe des / lucidités, sans / être descendu au plus / profond des pessimismes / serait une / chansonnette ;/ de Peltre je suis, pour ma part, revenu / avec une expression : porter à l’os / : à dos d’homme. On en est / là.

Journal /18 / 24 novembre 2022 

Je débarque ; / je débarque de la nef Argo avec son équipage, dédoublé, de collégiens ; / nous débarquons car une / sonnerie, / sirène, / cloche, / vient d’annoncer la fin du quart / , / du round entre les / peuples ( volumen et / rotulus ) / que nous avons formés ; je les quitte avec le sentiment d’avoir oublié un / point important / : je cherche quoi, / qui, / mais rien ne me revient ; puis je rejoins ma table de travail / bois / à l’Orée des Sentiers /, qui fut, avant moi, celle de Julia / Korbik et, / avant elle, celle / de Fabienne / Jacob, de Julien / Thèves ; si je ne me trompe pas Julia / Korbik , est la seule à / l’évoquer dans son journal de / résidence /, révélant cette étrange / intimité entre  nous / quatre / et de nous / quatre / avec celles et ceux qui / nous succèderont ( salut à vous ! ) / ici ; je l’imagine, assise devant / sa / notre / table, / ouvrageant un portrait d’Unica / Zürn ; et de l’imaginer ainsi  /rallume soudain, « 603 ~epodope » /, un nom dans ma mémoire : / Atalante ! / c’est, oui,  de cette fulgurante / farouche / femme / que / je voulais parler ce / matin /,  d’elle que j’ai croisé quelques fois — si / rarement — en mer, / seule, ou presque, entourée d’/ hommes / réticents, (pas tous) assaillie par leur unique motif : / zizanie / ; voyez Médée ! / on était forcé mais sinon : / pas de femme à bord : on les verra / aux escales / à Lemnos / ; Atalante pourtant, dans / certaines variantes / argonautiques /, est inscrite, incontestée, sur le / rôle.